Débuts de l’aviron féminin à Rennes

 Dans la mémoire de la Société des Régates Rennaises, c’est dans les années 1920 que la pratique féminine de l’aviron a commencé dans la capitale bretonne, à une époque où les femmes, faisant fi de la réputation quelque peu sulfureuse des “canotières”, ont commencé à revendiquer le droit de “mener leur barque” à la façon des hommes. Dès 1912, à Paris, elles s’étaient organisées au sein de sociétés strictement féminines comme Fémina Sport, suivie d’Académia (1915) (40 ramesues en 1936) et de la Ruche Sportive Féminine (1920); elles participent, par exemple, à la “course de dames” du Meeting de Paris de 1921. Aux Régates Rennaises, les femmes étaient depuis longtemps présentes, mais, comme épouses ou filles de sociétaires, aux Matinées dansantes, en tant que barreuses occasionnelles (comme M me Delalande) et même secrétaire (comme M me Tréluyer en 1919). Mais, alors que le Cercle Paul Bert, par exemple, compte depuis 1913 une section féminine de gymnastique et depuis 1926 un groupe féminin de natation, ce n’est qu’à partir de 1930 qu’aux Régates de Rennes du 18 mai des rameuses sont engagées dans une course: il s’agit d’étudiantes de la Faculté de Lettres, M elles Simon, Guigan, Kervoaz, Rozé et Belz. (il y a alors 170 étudiantes à la Fac. des Lettres sur 379 et plus de 230 étudiantes à Rennes (300? cf. Le Goc, 16 et sq). Le 28 juin 1931, aux Régates de Laval auxquelles a été convié un club parisien, c’est une équipe féminine de Rennes composée de M elles Marin, Guigan, Loysance et Lullier —manifestement la seule existante dans l’Ouest— qui est invitée pour affronter, en yole à 4, sur 600 mètres, une équipe de Fémina-Sports, qu’elle laisse loin derrière (il faut dire que, peu après le départ, le siège d’une des rameuses parisiennes avait sauté). L’aviron féminin est alors encore une curiosité et la même équipe de Fémina Sports fera ensuite une «démonstration» en quatre outrigger de pointe, tout comme les rameuses de la Société Nautique de Tours feront le 4 juin 1933, au Mans, une «démonstration d’aviron féminin», en mettant «en relief leur grâce, leur charme et aussi toute leur puissance», comme l’écrit le chroniqueur de  L’Aviron (p. 469).

A Rennes, cette pratique pionnière, sans doute essentiellement étudiante à l’origine, va bientôt concerner la Faculté de Droit et l’Ecole des Beaux Arts. Mais, il s’agit d’une pratique limitée à quelques unes: lorsqu’il s’agit d’engager une équipe féminine dans un course, c’est encore à des équipes masculines qu’elle doit être confrontée. C’est ainsi qu’aux Régates de Rennes du 5 mai 1932, où, comme l’observe la Commission féminine de l’Union des Fédérations des Sociétés d’Aviron, la SRR “n’a pu accepter l’engagement d’une équipe parisienne, la course étant régionale”, l’équipage féminin de la Faculté de Droit bénéficiant d’un handicap de 95 mètres gagne devant l’Ecole Nationale d’Agriculture dans une course dite “crash”, mais la Coupe des Ecoles est attribuée à l’Ecole d’Agriculture. C’est sans doute pour cette raison qu’une Coupe féminine des Ecoles (toujours conservée dans la salle de réunion de la SRR-A) sera créée cette même année.

Signe de ce que l’aviron féminin semble avoir commencé à prendre dans le Grand Ouest, pour la première fois, une course féminine est programmée aux Championnats de la Fédération des Sociétés Nautiques de Loire et Ouest (FSNLO) de Chinon, le 24 juillet , mais n’est pas disputée, faute d’engagements, la section féminine de Tours étant alors, selon la Commission Féminine nationale, «trop embryonnaire», à la différence de celles de Marseille, Compiègne ou des Libellules Strasbourgeoises, par exemple.

L’année suivante, pour “corser sa réunion” du 25 mai 1933, la SRR fait appel aux équipes féminines de Laval et de Tours, en insistant sur la nouveauté de cette initiative: “Trois équipes féminines appartenant toutes aux sociétés de l’Ouest est une chose unique dans les annales du sport nautique régional”, est-il précisé dans  Ouest-Eclair du 21 mai 1933. Laval ne fera finalement pas le déplacement, et c’est Tours qui l’emportera, laissant à deux longueurs l’équipe féminine rennaise, composée de M elles Rault, Poirier, Poirier et Auffray, qui immédiatement après disputent la Coupe des Ecoles et des Facultés de l’Université de Rennes: bien que bénéficiant d’une avance de 100 m, elles arrivent 2 e derrière la brillante équipe masculine de l’Ecole d’Agriculture, déjà première au Régates de Nantes, en yole à 4, devant six autres concurrents. Aux Régates de Laval du 25 juin (où pas plus qu’à Rennes il n’y a encore de rameuses lavalloises engagées), c’est encore Tours qui gagne, les 600 m étant parcourus en 2’ 23” 2/5. Une autre équipe féminine de Rennes engagée dans la course des pupilles, termine deuxième. Aux Régates de Dinan du 18 juin, partie scratch de 4 longueurs, l’équipe rennaise “passe le poteau” devant deux équipages masculins, en conservant une longueur d’avance, mais ne s’engagera pas, en juillet, dans la course féminine des Championnats FSNLO disputée sur 1600 m et remportée par Tours devant une autre équipe tourangelle.

En 1934, il existe à Rennes au moins deux équipes féminines, mais celle de Droit n’est pas au point et ne peut s’engager dans la «course spéciale» prévue (la Coupe féminine des Ecoles) qui est donc annulée. C’est l’équipe féminine de l’Ecole des Beaux Arts (Rault, Grammont, Nicole, Audren) qui, aux Régates de Rennes, sous les couleurs de la SRR, rencontre, le 10 mai, une puissante équipe de Laval qui d’ailleurs l’emportera sur Tours aux championnats FSNLO du 22 juillet à Chinon, auxquels les Rennaises ne semblent pas participer.

A cette époque, Rennes, Tours et Laval sont donc les seules sociétés de la Fédération Loire-Ouest d’aviron à engager des rameuses dans des compétitions, bientôt rejointes par la Société Nautique de la Sarthe qui le 11 août 1935 dispute une course féminine contre “Alsace-Lorraine”. Nantes qui pourtant avait en 1927 programmé une course féminine à laquelle participèrent uniquement des équipes parisiennes, semble ignorer cette pratique, tout comme Angers, Saumur ou Chatellerault.

Mais les rameuses rennaises ne sont pas engagées dans le Championnat de France féminin qui se tient chaque année depuis 1924, en yole à quatre, mais aussi en 4 outrigger, en canoë français et en skiff.

Pour pouvoir accueillir les sociétaires de sa Section féminine, qui a un entraîneur attitré (Nagel), la SRR a déjà construit une petite baraque de deux mètres sur deux à côté du modeste garage en bois dont la soupente sert de vestiaire aux hommes) et, en 1934, la présence féminine est suffisamment forte au sein de la SRR pour qu’à l’Assemblée Générale statutaire de cette année-là, “sur proposition du Docteur Patay (le président), la 3 e Vice Présidence (soit) donnée ( sic ) pour la première fois au chef de la Société féminine en la personne de M elle Rault” (qui est alors étudiante à l’Ecole des Beaux-Arts) et la conservation et l’entretien du matériel proposés à la même M elle Rault, assistée de Lassus et Michel. C’est avec elle que la SRR va remporter deux titres aux premiers Championnats féminins de la Fédération des Sociétés Nautiques Loire et Ouest (FSNLO) organisés à l’occasion des Régates de Laval du16 juin 1935 :  d’abord en yole de mer à 4, sur 1.000 m, avec M elles Grammont, Maigret et Audren, une course très disputée puisque la Société Nautique de Tours termine deuxième à 0. 50 m et Laval, troisième à 1m 50  ;  puis en deux de pointe avec M elle Grammont (barreuse Audren), course que l’équipe rennaise gagne devant Tours «sans pousser» (la course de skiff n’a pas lieu, faute d’engagements). Ce sont elles que l’on peut voir, arborant leur écusson de la FSNLO, sur une photo, avec au centre Josée Bizouart qui sera en 1937 la première «lieutenant d’entraînement féminin» et propriétaire d’un skiff de course baptisé «Araog» (En avant). Le dernier (et premier) titre FSNLO remporté par les Régates Rennaises remontait à 1923, avec Henri Delalande, champion en skiff senior…

Après cet exploit, les rameuses rennaises tarderont à renouer avec la victoireà ce niveau: en 1936, la SRR ne présente toujours qu’une équipe féminine à ses régates (elle termine à 200 m des autres équipes), mais en 1937, les Rennaises Grammont, Audren, Sinquin et Briend ont commencé à ramer en quatre de pointe et, le 13 juin, aux régates de Rennes, elles gagnent la course féminine devant une équipe du Cercle Nautique de Dinan (qui comptera bientôt une championne FSNLO en skiff, M elle Bousquet) ainsi que la Coupe féminine des Ecoles, en yole à 4 devant une autre équipe rennaise composée de M elles Houée, Macé, Meunier et Guisne. L’année suivante on trouve encore deux équipes féminines rennaises engagées en yole de mer aux Régates de Rennes: M elle Grammont, M me Sinquin, Madeleine et Suzanne Fauconnier qui l’emportent devant M elles Bizouart, Huchet, Carré et Bouziges (Mireille), barreur Cospain.

A la veille de la Seconde Guerre Mondiale, les femmes ou plutôt les «jeunes filles»—des étudiantes essentiellement car la demande d’adhésion de demoiselles de Prisunic ne trouve pas les parrainages nécessaires— sont donc désormais bien présentes au sein de la SRR, des femmes qui ne craignent pas se montrer en short et chemisier à manches courtes et de se mélanger aux garçons (des mariages s’ensuivront). Elles participent activement à la vie de la Société: en tant que dirigeantes (en 1937, l’autre double championne FSNLO, M elle  Grammont (également étudiante aux Beaux-Arts) a succédé à M elle Rault au poste de 3 e Vice-Président(e) et partage la responsabilité de l’entraînement féminin avec Josée Bizouart, M elle Guisne étant trésorière et M me Sinquin trésorière adjointe), en tant que rameuses de compétition mais aussi de “loisirs” (le terme n’est pas encore employé) qui participent, par exemple, à la promenade à Cesson organisée en collaboration avec la section de Rennes du Kayak-club de France (cf.  Ouest-Eclair du 16 mars 1936)  ou excursion à laquelle participent un groupe ??? de 25 à 30 personnes jeunes (embarcations Bizouart 30: 2 yoles à 4, une à 2, un canoë français, 3 canoës indiens, 2 périssoires)dont rend compte reportage photo et sans doute à la descente de la Rance de l’écluse du Chatelier jusqu’ à Saint-Servan le 29 mai 1938 et, bien sûr, à la Matinée dansante du 3 mars 1938, organisée à l’occasion du 70 e anniversaire de la fondation de la Société des Régates Rennaises.

J.-F. Botrel (octobre 2014)