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Le livre en Espagne (1833-1843)

Revue française d’histoire du livre, n° 116-117 (2002), p. 237-266.

Le livre en Espagne (1833-1843).

 

            Lorsque Victor Hugo se souvient de l'Espagne "qu'il aime", il se montre sans doute plus enclin à célébrer les "calembredaines" d'un futur grand-père âgé de 8 ans en 1811 -"le doux passé vainqueur", Pepita, le palais Masserano, etc. (cf. Simón Díaz, 2002)- qu'à mesurer le succès et l'impact que, à partir de 1834, année où est traduit Le dernier jour d'un condamné, (1) et jusqu'à sa mort, son œuvre jouée et/ou publiée a pu avoir en Espagne (cf. Lafarga, 1987). Une Espagne qui, entre 1833 (mort de Ferdinand VII) et 1843 (proclamation d'Isabelle II comme Reine d'Espagne), s'efforce, sur un fond de guerre civile, de jeter les premières bases d'un système libéral et national de la culture et du livre.

 

Le cadre légal. C'est ainsi qu'en matière de législation de la presse et de l'imprimerie, on passe à partir de 1833 du système préventif absolu jusqu'alors en vigueur  à un système plutôt répressif dans le cadre d'une relative liberté de la presse. En effet, avant que la Constitution de 1837 ne reconnaisse théoriquement que  "les Espagnols peuvent imprimer et publier leurs idées sans censure préalable dans le respect de la loi «  (2), l'exposé des motifs du décret du 4 janvier 1834 est révélateur du système mixte qui s'instaure : "Il ne peut exister une liberté absolue et illimitée de la presse, de la publication et circulation de livres et journaux, sans offense de notre Religion catholique ni préjudice du bien général ; mais on ne peut non plus admettre toute sorte d’entraves et de restrictions sans préjudice de l'illustration qui est si nécessaire au progrès de nos Royaumes" (3).

            La censure préalable et le dépôt d'exemplaires avant la mise en circulation sont donc maintenus pour les "les œuvres de caractère religieux ou de morale, politique et gouvernement, pour celles de géologie et de voyages, celles d'histoire et de recréation et passe-temps (poésies, romans, compositions dramatiques) ainsi que pour les journaux qui ne sont pas purement techniques et professionnels et qui ne traitent pas exclusivement des arts, sciences naturelles ou littérature" (4), y compris les "prospectus". Une caution de 20 000 réaux à Madrid (doublée en 1837) et de 10 000 en province (30, 20 et 10 000 en 1837, selon l'importance de la ville) est exigée pour l'autorisation de publication d'un titre, ainsi qu'un éditeur responsable au pénal : une "profession" bien rémunérée et un nouveau type littéraire dont le métier consiste à accepter d'être condamné et d'aller en prison... (5). En 1839, la vente dans la rue des journaux et feuilles volantes sera interdite.

            Ne sont pas soumises à la censure et jouissent donc d'une vraie et nouvelle liberté les « publications relatives aux sciences exactes, physiques et naturelles, aux sciences économiques et administratives, aux moyens d’expression des autorités exécutives et judiciaires, les pastorales des évêques, etc. », non plus que les traductions « sans notes politiques, historiques et les simples réimpressions des œuvres déjà autorisées, les travaux académiques des Corporations officielles, et les documents des autorités, même si les autorités ecclésiastiques doivent remettre dix exemplaires des leurs au Conseil"  (6). De même les estampes cessent d'être soumises à la censure préalable.

            S'agissant des livres et publications importées, c'est l'Inspección General de Imprentas y Librerías (Inspection Générale des Imprimeries et Librairies) qui doit accorder les autorisations d'introduction même lorsque la censure ne s'applique pas.

            Les œuvres dramatiques (qui ne sont pas toutes imprimées) continuent, par ailleurs, à être soumises à une censure dite "de teatros", avec néanmoins unce certaine libéralisation de fait.           N'oublions pas cependant qu'il existe un dispositif parrallèle propre à l'Eglise catholique et que la liberté ne s'étend pas à l'époque à la religion : en 1844, la loi du 9 avril qui reconnaît la liberté d'imprimerie stipulera encore que les œuvres ou écrits sur les dogmes de notre Sainte Religion, Sainte Ecriture et morale chrétienne ne pourront être imprimés sans examen préalable et approbation du Diocésain (7) (comme dans la loi sur la liberté de la presse du temps de la Constitution de Cádiz).

            La seule mesure de libéralisation véritable et totale découle de la supression du monopole exercé par l’ Inspección general de imprentas sur l'impression de tous les livres scolaires en usage dans tous les établissements du Royaume -privilège transféré aux auteurs des manuels reconnus comme officiels- et, en 1836, de celui de la Hermandad de ciegos (Confrérie des aveugles) sur la distribution des petits imprimés, les « papiers » imprimés et les chansons populaires (Botrel, 1973) , cette activité étant néanmoins soumise à autorisation préalable : on espère ainsi « tirer notre poésie populaire de l'abjection où on a pu la mettre" et une Commission composée, entre autres, du Duque de Rivas, d’Espronceda, de Larra, d’Agustín Durán et de Bretón de los Herreros se voit confier la charge "d'élever ce type de littérature au degré de splendeur où l'a porté en France le génie magique de Béranger" (8) (Romero Tobar, 1976, 233).

            Les effets d'un tel dispositif d’ensemble n'ont pas, à ce jour, été complètement évalués, même pour la presse dont les "excès"  dans un contexte de guerre carliste sont facilement condamnés: comme le dit le Décret royal du 5 juin 1839 , « le droit de publier ses idées sans censure préalable (...) a dégénéré en de si funestes et lamentables débordements qu'il porte atteinte et tue la liberté elle-même" (9).

            Ansi que le souligne Rumeu de Armas (1942, 171), avec l'abandon du système préventif pour le système répressif, "on brida souvent de façon plus efficace la libre émission de la pensée qu'avec l'archaïque et oppresseur système dit de censure" (10), alors que J. E. Eguizábal (1873)constate que, "une fois déclarée constitutionnelle, la liberté d'écrire ne se satisfait de rien et rien ne peut la contenir" (11). Il faudrait pouvoir juger sur pièces...

            On remarquera, en tout cas, que la nouvelle législation n’entraîne pas une meilleure observance de l'obligation du dépôt légal rappelée avec constance en 1837, 1841 et 1843, sans grands résultats  (Guastavino Gallent, 1952).

            En revanche, la première baisse des tarifs postaux qui se produit en 1835 pour les imprimés et les périodiques –accentuée l’année suivante- est indéniablement favorable à la presse (Cabrera, 1975). Cependant, son effet sur le volume quotidien des journaux expédiés à partir de Madrid ne semble être véritablement perceptible que dans les années 1840 (12), et en 1845 les responsables des postes constatent que celles-ci se sont progressivement converties en de véritables messageries des libraires et imprimeurs", obligeant l'administration " à mettre un cheval de plus dans chaque poste" (13).

 

L'appareil de production. En 1830, à Madrid, le nombre des imprimeries est compris entre 20 et 30, selon les sources. Malgré la liberté d'entreprendre rétablie le 8 juin 1833 et confirmée le 6 décembre 1836, les imprimeurs et les libraires doivent toujours signaler « la rue et le lieu où ils se seront établis » (14), et le monastère de l'Escorial conserve, par l'entremise de la vénérable Compañía de Impresores y Libreros del Reino, le privilège d'impression des « livres de prières, calendriers, missels, bréviaires, diurnaux et livres liturgiques, y compris les canons d'autel à l'exception des livres de dévotion à usage privé" (15).

            Techniquement, tout ou presque continue de se faire à la main (Vélez, 1989) ; les premières fabriques de papier mécanique n'apparaissent qu'entre 1840 et 1844 (Botrel, 1993), à un moment où l'on commence à produire des livres avec deux qualités de papier : l'un dit "supérieur", l'autre dit "ordinaire". Présentes dès 1828 à Barcelone, des presses  Stanhope ou Giroudot  sont installées à Madrid dans plusieurs ateliers typographiques, comme celui du journal El Universal , bientôt suivi, en 1838, par le Semanario Pintoresco Español dont la presse Giroudot (à retiration) permet le tirage de 700 exemplaires à l'heure avec la force motrice de deux ouvriers. Il s’ensuit une appréciable augmentation du rendement, de l'ordre de 1 à 8. A cette même date, le Diario de Barcelona remplace ses presses plates de marque Stenberg par des presses à pression cylindrique, mais en 1839, aux Canaries, on fait encore venir une presse en bois de Londres et en 1843, l'imprimerie de la Sociedad Literaria de Madrid d'Ayguals de Izco -l'une des maisons d'édition les plus dynamiques- en compte encore un bon nombre.

            Ainsi que l’observe Artigas Sanz (1943-5), les formats les plus courants pour les livres sont les in-16° et les in-8° -les in-32° sont encore fréquents-, l' in-4° étant quasiment réservé à la production échelonnée, par livraison (entrega) ou cahier (cuaderno) qui, contrairement à ce que l'on dit généralement, ne concerne encore qu'un nombre limité d'œuvres qui sont rarement des romans et ont pour la plupart un prix élevé.

            Le moteur de la modernisation est de toute évidence une presse périodique en plein essor qui bénéficie de l'intérêt et de l'expérience d'anciens émigrés et du cadre règlementaire plus libéral : c'est le cas de la Compañía tipográfica créée le 31 décembre 1837« afin de fonder un établissement typographique conçu sur les bases des dernières avancées de cet art" (16), à l'inititiative d'Andrés Borrego avec un capital de 1 million de réaux souscrit en grande mesure par des membres de la noblesse, pour publier le quotidien El Español. C’est également celui de la Revista Europea, bientôt remplacée par la Revista Popular. Machines et matériel mais aussi le papier et même les ouvriers viendront d'Angleterre pour ce journal qui est une sorte de réplique du Times (Castro, 1998). Selon B. Hortelano (1936), qui pèche sans doute par optimisme, la profession aurait alors connu des problèmes de recrutement puisque « des centaines et même des milliers de jeunes gens de bonne famille se mirent à apprendre une profession aussi distinguée" (17), qui offre des salaires élevés (18).      

C'est sans doute dans le domaine de l'illustration que la volonté de s'émanciper de l’étranger en créant un école espagnole de xylogravure s'affirme avec le plus d'éclat. On connaît les initiatives prises par R. Mesonero Romanos au bénéfice de son Semanario Pintoresco Español (Palomo, 1996), mais il faut reconnaître que la conversion des graveurs sur métal et  des calcographes à la gravure typographique plus économique et souple d'usage ne se fait que lentement, Barcelone semblant répondre avec quelque retard, sauf pour le Museo de las familias et l'Album pintoresco universal publiés par Bergnes de las Casas qui incluent des clichés importés et quelques xylogravures de M. Torner, de J. Gaspar et des Martínez (Fontbona, 1992). Le phénomène de dépendance met néanmoins du temps à disparaître, même si Los Españoles pintados por sí mismos permet en 1843 d'apprécier les progrès accomplis avec, notamment la production de Calixto Ortega (Ucelay da Cal, 1951). La lithographie qui sert à produire les planches hors texte (láminas finas) reste fréquente : c'est elle qui est encore utilisée pour la Colección de novelas escogidas de W. Scott, par exemple.

            Comme prolongement des activités d'imprimerie et de librairie, la fonction et la figure de l'éditeur commence à se faire jour ; les dénominations en témoignent : Imprenta y librería de I. Boix, editor, Librería de A. Pons y Cía, editores. Comme l'administration fiscale, les libraires identifient des "éditeurs de périodiques" (editores de periódicos) mais aussi des "éditeurs d'œuvres littéraires", alors que les fonctions de direction littéraire et de direction artistique, reconnues par les revues illustrées, témoignent d'une dissociation croissante entre l'éditeur capitaliste et l'éditeur intellectuel. Cela reste néanmoins encore confus, ce qui vaut, par exemple, à l'imprimeur Repullés de se voir attribuer la collection de romans initiée par l'éditeur Delgado sur les conseils et sous la direction de l’écrivain Ramón López Soler, apparemment.

            Dans la plupart des cas, il s'agit d'entreprises artisanales ou familiales comme à Barcelone où beaucoup de maisons plongent leurs racines dans le XVIIIe siècle et encore plus loin tels les Brusi, Estivill, Piferrer, Pla, Riera, Torner, mais aussi à Madrid et à Valence où les Mompié, Cabrerizo (cf. Almela, 1949) et Monfort perpétuent une tradition en accompagnant le mouvement national mais aussi international : c'est le cas de Vicente Salvá qui, a son retour d'exil, rachète la maison Mallén y Bérard et la fait profiter de sa double expérience parisienne et londonienne (Reig Salvá, 1972 ; Botrel, 1997c). Cette dimension européenne ou hispano-française se retrouve avec les Denné, Hidalgo, Monier, Poupart qui, à Madrid, acclimatent à l'Espagne des pratiques ou initiatives étrangères telles que la bibliographie courante, le dépôt général, les cabinets de lecture et deviennent par leurs importations de véritables "douanes intellectuelles" (Botrel, 1986). Signe de cette modernisation, la Hermandad de San Gerónimo -la confrérie des libraires madrilènes- cesse en 1841 ses activités d'édition.

            Sur des modèles à désigner, mais certainement avec le concours de professionnels frottés aux techniques étrangères, comme Rivadeneyra entre 1830 et 1835, l’édition espagnole se modernise et accueille de nouveaux talents. C’est le cas du philologue, helléniste et professeur Antonio Bergnes de las Casas qui s'installe à Barcelone en 1831. Il y ouvre une imprimerie, comparable, dit-on, aux meilleures imprimeries françaises de l'époque. Sa première production sera d'ailleurs une Historia de la imprenta  (1831) par lui rédigée.

            Il lance, à peu près au même moment que l’éditeur madrilène Manuel Delgado, une "Biblioteca de las Damas" : trois livraisons mensuelles, à domicile, consistant chacune en un tome de roman de 250 pages environ in 32° mayor (19) proposé à 4 réaux pièce aux souscripteurs -un prix particulièrement bas- avec 6 œuvres de W. Scott, La Princesa de Wolfenbutel de Heinrich Zschokke, El bravo, « roman vénitien » de Fenimore Cooper, etc.  Auparavant, le 22 mars 1833, il avait créé le périodique El Vapor et publié une "Biblioteca selecta portátil y económica o sea Colección de novelas escogidas" où l'on pouvait trouver des œuvres de R. López Soler (Jaime el Barbudo (1832), Las señoritas de hogaño) (Vélez, 1989, 41-42). De façon assez insolite, Bergnes de las Casas cumulera jusqu'en 1843 les fonctions d'imprimeur, d'éditeur, de correcteur, de rédacteur et de professeur (à partir de 1836), avant de se consacrer entièrement à son enseignement du grec à l'université de Barcelone. L'édition barcelonaise est alors entrée en crise (Olives, 1947).

            Pourtant, ainsi que le souligne Montesinos (1955, 118), c'est l'époque où semble se développer, avec une certaine vitalité, une activité d'édition en province. Il faut dire que l'édition d'un Boletín oficial dans chaque province, à partir de 1833, justifiait la présence au chef-lieu d'au moins une imprimerie utilisée par des  éditeurs ou des sociétés assez entreprenantes pour, par exemple, publier, même fugacement, La lira del Tormes comme à Salamanque en 1842 ou El Nalón à Oviedo et plus durablement La Alhambra. Revista mensual del Liceo de Granada, El Guadalhorce (8 pages in 4° paraissant le dimanche à Málaga) ou El Cisne à Valence. A Séville, la Imprenta de la Revista médica peut mettre sur le marché (national) un Nuevo manual completo de física y meteorología, en 1841, année où à Gérone se publie Voz de la naturaleza. Colección de anécdotas, historias y novelas tan agradables como útiles a todas clases de personas de D. Ignacio García Malo... C'est cependant plutôt après 1843 que des collections sont lancées à Séville, à Grenade ("Novelas francesas traducidas al español" por D. Luis Montes y L. Talavera, éditées par la librairie de Benavides y Pérez editores et vendues 6 réaux le tome de 150 pages in 8°) et surtout à Málaga où deux éditeurs mettront au total 161 tomes sur le marché.

            Cependant, c'est  à Valence que la dimension "provinciale" de l'édition d'alors s'exprime sans doute le mieux : à côté des Cabrerizo et Mompié, la maison Mallén y Bérard rachetée par Vicente Salvá, naguère «  arraché à l'Espagne par le bras du despotisme » (20) et de retour à Valence après sa rupture avec le libraire parisien Bossange, développe un axe Valence-Paris pour des projets et entreprises qui ont l’Amérique hispanophone pour cible (Botrel, 1997c). La fameuse Gramática de la lengua española éditée pour la première fois à Paris en 1832, le sera à nouveau à Valence en 1835 et 1837 (2 100 exemplaires à chaque fois) et connaîtra au total 6 éditions jusqu'en 1842. A cette date, dans son testament, Salvá peut faire état de clichés stéréotypiques lui facilitant la réédition de la-dite grammaire mais aussi du Diccionario francés-español , de la Biblia de Amat, du Nuevo Valbuena, etc., la valeur des propriétés intellectuelles étant estimée à 52 100 francs. Une année plus tard, on le trouve propriétaire de 15 à 20 immeubles provenant de ventes de biens nationaux dont il espère une rentabilité de 10%. Sa fameuse bibliothèque de quelque 4 000 volumes sera estimée, en 1850, à 200 000 réaux. Quand on sait qu'à partir de 1835 il verse mensuellement 5 000 francs à son fils Pedro en rémunération de son activité à la tête de la librairie parisienne et 15 000 réaux de rente viagère à Pedro Juan Mallén, on peut dire sans crainte de se tromper que pour ce libéral anciennement exilé l'édition et la librairie ont pu être rentables. Pourtant, il semble qu'à partir de 1840-43, tout comme à Barcelone, l’édition entre en crise à Valence et pâtisse de la concurrence madrilène (Reig Salvá, 1972).

            Par rapport à la période 1814-1833 étudiée par A. Vauchelle-Haquet (1985), il apparaît que la production étrangère en langue espagnole -notamment la production française- concerne de moins en moins l'Espagne qui mettra néanmoins quelque temps à retrouver le chemin du marché américain après l'indépendance de ses anciennes colonies (cf. Botrel, 2001).

            Si dès 1834 la propriété "littéraire" (c'est-à-dire intellectuelle) est garantie durant toute la vie de l'auteur et 10 ans après sa mort, pour les producteurs, c'est encore l'ancien régime contractuel qui semble prévaloir, avec l'aliénation de tous les droits -la cession en toute propriété, "pour toujours" (para siempre)- au bénéfice de l'éditeur qui en acquiert la "propriété absolue" moyennant des contreparties qui vont de 20 exemplaires « en papier de qualité supérieure et reliés » (21), pour la Respuesta de un cristiano a las Palabras de un creyente de Juan Nicasio Gallego, à 600 réaux pour la traduction du drame Marino Faliero par Juan Grimaldi ou 7 500 réaux pour Solaces de un prisionero o tres noches de Madrid et La Morisca de Alajuar (1841), du Duque de Rivas (22).

            Il est vrai qu'il s'agit, dans la plupart des cas, d'œuvres dramatiques dont les représentations peuvent garantir une rente substantielle à l'éditeur : c'est ainsi que le même Duque de Rivas vend toute sa production dramatique à venir au tarif de 3 500 réaux la comédie ou le drame en vers de 3 actes et plus (1 700 pour une œuvre en deux actes ; 800 pour une en un acte), un abattement des deux tiers étant prévu pour les œuvres en prose... Dans l'acte d'aliénation par Patricio de la Escosura de la traduction du drame en 5 actes intitulé Isabel de Baviera (pour 1 300 réaux), il est d’ailleurs stipulé qu'en cas de non représentation, la somme versée sera rendue (23). Le système mis en place pour garantir la rentabilité de la production dramatique semble en tout cas avoir duré : il entraînera des tentatives d'émancipation de la part des auteurs dramatiques...

            S'agissant d'œuvres non dramatiques, on sait que José de Espronceda céda en toute propriété, le 21 juin 1840, un tome de poésies pour la somme de 6 000 réaux correspondant à une édition de 1 500 exemplaires, le versement de 2 000 réaux supplémentaires étant prévu à l'épuisement éventuel de cette première édition (24).

            Les tirages à cette époque ne semblent guère dépasser le chiffre de 1 500 exemplaires (sauf pour les ouvrages "utiles"). On voit ainsi Aribau proposer en 1828 d'éditer Ivanhoë à 1 500 exemplaires au lieu des 1 000 habituels (25), et le roman historique de P. de la Escosura Ni Rey ni Roque est encore publié à 500 exemplaires en 1835. On est loin des chiffres fantastiques souvent avancés -sans grandes preuves d’ailleurs- pour la décennie suivante, même si la revue hebdomadaire illustrée le Semanario Pintoresco Español  dit pouvoir compter sur ... 3 000 abonnés aux alentours de 1840.

            L'Etat libéral a parfois su encourager par des subventions plus ou moins désintéressées telle ou telle initiative, par exemple en autorisant Diego Clemencín a ouvrir une souscription « pouvant l'aider à réimprimer le Quichotte », annoté par lui (26), ou en "protégeant" El Artista (Romero Tobar, 1975). Pourtant, en 1842, en faisant état des "gains fabuleux" des Dumas, Soulié, Hugo, Chateaubriand, Scott et même Lord Byron durant sa courte vie (2 500 000 réaux est-il précisé), le Boletín bibliográfico de Dionisio Hidalgo regrette qu'il manque en Espagne "la stimulation de la richesse"  et , sur un ton digne de Larra ou de Juan Valera plus tard (cf. Botrel, 1970) , il ajoute : "il ne faut pas que soit cause de scandale le fait de considérer l'argent comme une stimulation du savoir et du talent : même si le génie peut aspirer à d'autres récompenses, comme la renommée, les éloges, etc., l'homme de talent ne peut pas, quoi qu'il veuille, oublier qu'il est un homme, qu'il vit en société et que dans ce siècle positif où il nous a été donné de vivre le meilleur élément pour y figurer et y être apprécié, c'est l'argent" (27). C'est la raison, selon lui, pour laquelle en Espagne « c’est à peine si l’on voit des œuvres originales, quand on en trouve tant de traduites » (28).

            L'important marché de la traduction , de l'adaptation ou de l'imitation favorise sans doute davantage les plumitifs que les créateurs inspirés, même à l'époque de Larra et d’Espronceda (29). L'examen des bibliothèques et collections initiées à cette époque fait, en tout cas, apparaître un assez fort déséquilibre entre le "national" et l'étranger, au détriment de celui-là (cf. Martínez, 1991).

 

Les tendances de l'édition  Faute de sources vraiment fiables, il est difficile d'apprécier les tendances de l'édition sous le biais bibliométrique : les quelques données disponibles -qui sont celles fournies par J. Paredes Alonso (1988) et M. Morán Ortí (2000), à partir des annonces de nouveaux livres dans le Diario de Madrid (environ 190 par an entre 1830 et 1833) et le dépouillement du Boletín bibliográfico  pour les années 1841-1842 (1 101 et 788 "nouvelles publications", respectivement)- permettent néanmoins d'observer que la part de la religion et de la philosophie ne cesse de diminuer (28% en 1814-20 , 20% en 1823-33 et 10% en 1842-43), que les "sciences positives" restent stables (15%/12%), de même que les sciences sociales et politiques (30%/28%), à un niveau élevé, donc (120 titres environ).

            C'est semble-t-il la littérature de "recréation" (recreo) qui bénéficie de ces redistributions : 19% en 1814-20, 28, 5% en 1823-33 et 35% en 1842-43, grâce notamment à la littérature dramatique qui représente à elle seule 16, 5% des titres.

            Un nouveau couple droit/lettres semble donc se substituer au traditionnel droit/religion.

            Une constante est la grande dépendance scientifique et technologique à l'égard de la France : 65% des livres annoncés dans ce domaine (contre 38% pour l'ensemble) sont des livres français (90% pour la technologie ; 55% pour la médecine). Et dans les 180 titres espagnols publiés en 1841-42, la part des traductions est importante. Alors que la Médecine populaire du Dr. Le Roy continue à se publier en traduction, la littérature médicale de nature professionnelle suppose de la part de ses acquéreurs de lourds investissements : 92 réaux pour un Tratado de farmacia experimental (2 tomes in 4°), 600 à 840 réaux pour une Enciclopedia de medicina, cirujía y farmacia publiée par Calleja e hijos en 1843 (pour 50/60 tomes annoncés, il est vrai). Les formules éditoriales elles-mêmes se trouvent concernées (cf. Botrel, 1997b).

            Les livres-utilité pour le "grand public" comme El Melonero infalible o arte de conocer, escoger y comprar buenos melones y sandías... (30), publié par Cabrerizo en 1832 ou pour les artisans et commerçants, sur la façon de prévenir "les accidents fatals ocasionnés par le gaz des latrines" (31), les "abrégés de tachygraphie", les traditionnels manuels du teinturier "théorique et pratique", du peintre doreur-vernisseur, du propriétaire et du locataire ou celui des diligences, les livres sur les bains médicinaux de Lanjarón, la règle du jeu du solo  semblent, quant à eux, connaître une hispanisation intensifiée.

            La relative "nationalisation" ou hispanisation de la production imprimée n'enlève pas toute son importance à l'importation de textes à  fins de traduction ou de livres en langue française. En 1830-33, plus de 30% des nouveaux livres annoncés dans le Diario de Madrid sont des traductions (Morán Ortí, 2000) et, entre 1833 et 1843, sur les 595 éditions de romans traduits répertoriés par J.-F. Montesinos (1955), près de 20% sont encore imprimés en France. D. Hidalgo publie régulièrement dans son Boletín...des listes de livres français, neufs ou d'occasion,  avant , en 1842, de faire paraître un Boletín bibliográfico francés, rédigé et imprimé à Paris, "qui contiendra toutes les publications françaises" (32), le marché espagnol n'étant pas le seul visé (Botrel, 1997a).

            Pour ce qui est du roman, alors qu'entre 1823 et 1830 on avait pu repertorier 45 traductions de "fictions" (Alonso Seoane, 2002), c'est le roman historique traduit qui, selon Montesinos (1955), prédomine entre 1830 et 1845 : recommandée par B. Carlos Aribau l'édition d'oeuvres de W. Scott commence avec El Pirata publié par Moreno en 1830 et Ivanhoë  o el caballero del infortunio (déjà publié à Londres en 1825 et à Perpignan en 1826) est finalement édité par le même Moreno en 1831, puis par Bergnes de las Casas (qui avait déjà publié El Enano misterioso dans sa "Biblioteca de Damas") en 1833. Il en coûte, en 1832, 48 réaux à l'acquéreur des 4 tomes (33). Entre 1829 et 1832, Tomás Jordán avait déjà publié 11 oeuvres du "Cervantès écossais".

            Quant aux auteurs français, c'est d'abord les d'Arlincourt (36 à 39 éditions entre 1833 et 1843), Pigault-Lebrun, Cottin (Matilde o las Cruzadas), Ducray-Duminil (Las huérfanas de la aldea et Las tardes de la granja (également connues sous le titre Las veladas de la cabaña), Madame de Genlis (9 éditions) qui figurent aux catalogues. Ils sont bientôt rejoints par V. Hugo dont on traduit, après Le dernier jour d'un condamné , Bug Jargal (1835). En 1836, c’est le tour de Notre Dame de Paris (Nuestra Señora de París), bientôt connu sous le titre de "La Esmeralda ", avec 6 autres éditions jusqu'en 1842, date de la traduction de Hans d'Islande (Hans de Islandia.). Eugène Sue commence à être publié en espagnol en 1835 avec Atar Gull , et F. Soulié voit 12 de ses œuvres traduites entre 1836 et 1843 dont les Mémoires du diable (34). C'est ensuite le tour de Dumas, dont beaucoup d’œuvres sont traduites et publiées à partir de 1837-38, avec succès puisqu’on compte au moins 28 éditions jusqu'en 1843.

            Vers 1840 commence à se manifester un vif intérêt pour les romans de mœurs contemporaines à la Balzac ou à la Sand : le premier roman de celle-ci (Leoni Leoni) est publié en traduction espagnole à Paris par le libraire Rosa, en 1836, et dans les deux années suivantes, 9 éditions de ses œuvres paraissent dans des traductions de E. Ochoa et de P. Reynés Sola à Madrid et Barcelone où l'éditeur Oliva propose huit titres en 1837-38. Malgré une mise à l'index en 1840-41, Consuelo est publié en feuilleton dans El Heraldo concomitamment à sa parution en France et sera suivi de 4 éditions jusqu'en 1844 (Aymes, 1997). Les œuvres de Ch. Paul de Kock commenceront à être véritablement en vogue à partir de 1842, la Unión literaria publiant des Obras Completas à partir de 1843 .

            Signe indéniable de cet attrait de l'Espagne pour la littérature française, les 4/5 des romanciers traduits entre 1833-1845 sont français et on estime qu'un tiers des romans de cette époque conservés dans les bibliothèques espagnoles sont en français ou d'origine française ; il faudrait bien sûr ajouter à cela le nombre infini d'œuvres dramatiques traduites ou adaptées à la scène espagnole comme Angelo, tirano de Padua (1835), Lucrecia Borgia (1835), El rey se divierte  (1838), mais aussi Hernani et María Tudor de Hugo ou Los perros del Monte San Bernardo "adapté au théâtre espagnol" par Ventura de la Vega avant 1841et qui connaîtra une certaine fortune, réduit en roman, dans le réseau de colportage. Entre 1830 et 1850, plus que Hugo (5 œuvres publiées et représentées) ou même que Dumas (16 œuvres), c'est encore Scribe et autres Pixérécourt, Ducange ou Bouchardy qui sont néanmoins les plus joués (Dengler, 1989). Cette vogue concerne également l'opéra italien : en 1843, 65 livrets en italien et en vers avec la traduction espagnole en prose sont ainsi disponibles au prix de 4 réaux l'unité.

            On ne doit cependant pas oublier le succès durable des "classiques" du XVIIIe siècle et d'avant, comme le Don Quijote, le Gil Blas, le Telémaco, l'Anacarsis ou les Ruinas de Palmira.

            Après quelques timides tentatives à Valence et Barcelone, le roman historique "original" prendra sous l'influence (et la plume) de R. López Soler (qui avait eu l'occasion d'exposer ses théories dans El Europeo dix ans auparavant) et la collaboration de l'éditeur madrilène Delgado un relatif essor (Marrast, 1974, 374). On a souvent mis en avant cette volonté de mettre sur le marché une « collection de romans originaux traitant des principaux événements de l'histoire d'Espagne pour diffuser parmi les Espagnols cet amour invétéré de leur religion et de leur roi qui les a rendu si célèbres dans les deux mondes" (35), propos généreux et peut-être de circonstance dans la mesure où ils s'adressent à la commission de censure (le 31 mars 1833). Toujours est-il que pour promouvoir une "littérature nationale de fiction" qui fasse pièce aux traductions ou adaptations, l'éditeur Delgado passera commande de romans, en les payant par avance à Larra ou Espronceda, montrant par là sa détermination d'éditeur (Marrast, 1974, 379). Ce sera la "Colección de novelas históricas originales españolas" qui ne semble d'ailleurs pas avoir connu le succès escompté : on a trace de 129 souscripteurs pour El Doncel de Don Enrique el Doliente et de 430 pour Ni Rey ni Roque (36), dans quinze villes de province, au total, et la clientèle madrilène ne semble pas avoir beaucoup répondu à cette offre de romans originaux... Ce qui est sûr, c'est que la collection n'ira pas au delà de 7 titres correspondant à 28 tomes.

            A côté des collections éditées à Valence, de celle de Delgado (cf. Martínez Martín, 1999), de Bergnes de las Casas et de la "Biblioteca romántica moderna" lancée par D. Vila y Tomás en 1837 à Barcelone et qui ne semble pas non plus avoir prospéré, on observe que plusieurs bibliothèques ou collections "mixtes", c'est-à-dire incluant des romans "nationaux" ou "originaux" et étrangers ou traduits, sont lancées, qui visent notamment le public féminin. On ne peut dire qu'elles aient non plus duré très longtemps : la "Biblioteca en miniatura", par exemple, publiera au total 3 titres en 5 volumes entre 1840 et 1841. Il faut attendre les années 1841-1844 pour voir s'accélérer la tendance : sur les 15 bibliothèques ou collections répertoriées par Montesinos (1955), 5 sont créées entre 1841 et 1844 (4 en 1845), une seule des collections antérieures la "Nueva colección de novelas escogidas » de Oliva (33 titres en 81 tomes entre 1836 et 1846) semblant perdurer.

            C'est encore à Paris, chez Baudry, qu'est lancée l'importante et durable "Colección de los mejores autores españoles", préfiguratrice d'une certaine façon de la "Biblioteca de Autores Españoles" de M. Rivadeneyra, tandis qu'à Barcelone, à côté du "Tesoro de autores ilustres" d'Oliveres (1842),  le "Tesoro de autores ilustres o colección selecta y económica de las mejores obras antiguas y modernas nacionales y extranjeras" semble avoir essentiellement publié des auteurs étrangers comme La estrella polar por el Vizconde d'Arlincourt (400 pages et une planche, pour 12 réaux le tome).

            C'est précisément l'époque où l'édition barcelonaise qui pourtant a lancé avec Juan Oliveres le « petit roman de poche » (37), et qui a même vu l'éditeur religieux Juan Pons ajouter à son fonds des "Crimes célèbres" ("Crímenes célebres"), entre en crise, avec les transferts qui s'ensuivent d'hommes de compétence, comme I. Boix et M. Rivadeneyra, vers Madrid  où commencent à se concevoir des bibliothèques générales d'histoire, sciences, arts et littérature, de romans, contes, articles de mœurs, voyages, légendes et anecdotes historiques, en même temps que surgissent les premières collections liées aux journaux publiant des feuilletons et les premières tentatives, avec la "Biblioteca continua", par exemple, de produire à bon marché (d'où le qualificatif "económico", appelé à durer)  et des visées plus explicitement récréatives, avec "El álbum de las novelas, colección escogida y económica" de Madoz y Sagasta (2 tomes chaque mois) ou la "Biblioteca de recreo. Colección de novelas originales y traducidas" (Madrid, 1841-44, 16 titres en 34 tomes), pour prendre deux exemples.

            Plus que les "bibliothèques" de romans, ce sont les collections d'œuvres dramatiques qui s'inscrivent dans la durée : la "Galería dramática. Colección de las mejores obras del teatro antiguo y moderno español y estranjero" créée par Manuel Delgado en 1835 a déjà publié 23 tomes à 20 réaux en 1840 (avec un total de 92 œuvres), et elle est complétée à cette date par un "Teatro moderno extranjero" (9 tomes du même format in 8° marquilla et du même prix). Sa publication se poursuit pour atteindre 34 tomes en 1842 et 43 en 1843. Dans le même temps, I. Boix publie à partir de 1839 son "Repertorio español dramático. Colección de las mejores obras del teatro moderno extranjero y español" qui en 1840 comprend déjà 43 pièces vendues 2 réaux et distribuées avec El Entreacto, hebdomadaire consacré au théâtre. Elles sont ensuites réunies en volumes proposés au prix de 20 réaux.

            Fin 1841, selon Cotarelo y Mori (1928), commence à se publier un "Museo dramático. Colección de comedias del teatro moderno español y extranjero" qui présente l'originalité d'être distribué le lendemain même de la représentation à Madrid aux théâtres de la Cruz et del Príncipe (quelques jours après en province).

            Ces deux collections seront absorbées par V. Lalama, en 1842 et en 1844, dans sa "Biblioteca dramática" (109 traductions et 74 œuvres originales en 1846).

            De leur côté, les besoins naissants en matière de scolarisation entraînent la production de livres destinés aux apprentissages et aux enfants (cf. Escolano Benito, 1997). Avec les Cuentos de la mamá o la moral en imágenes, traduits du français, « on arrive à faire les enfants prendre plaisir à la lecture" (38) ; El Abuelo , « œuvre destinée aux adultes dont l'éducation a été négligée (...) adaptée à nos coutumes (...) par un Espagnol « désireux d'introduire dans sa Patrie ce qui est bon et profitable" (39), répond à la même logique tout comme El Buffón de los niños o historia natural abreviada dont la 3e édition paraît à Valence en 1842 (un tome in 8° illustré de 55 bois et  vendu 13 réaux). En 1843, I. Boix publie une "Biblioteca de educación".

 

            La diffusion du livre. En dépit des témoignages traditionnellement misérabilistes sur l'état sordide des librairies, il semble qu'à côté du réseau traditionnel des églises et couvents et des colporteurs, se constitue un premier réseau de diffusion du livre : c'est le cas, dès 1832, pour la librairie Mompié qui, comme Cabrerizo, publie une feuille d'annonces (Pliego de anuncios ) et a des correspondants dans 38 villes en Espagne y compris Orihuela, Elche ou Lorca. On voit également se mettre en place le système des "commissions générales" (comisiones generales de libros) à l'initiative de libraires ou de particuliers qui s'offrent à distribuer les livres qu'on voudra bien leur adresser à Baeza, Guadalajara, Calatayud, Caravaca (Murcia), Adra (Almería) "en rendant des comptes quand on les leur demandera", mais aussi, pour un autre, tous les quatre mois même si on ne les lui demande pas, à la condition, pour Agustín Blas, que les œuvres ou brochures qu'on lui adressera « soient d'une morale garantie et ne s'oppose pas à la religion » (40). On voit même Isidro Martínez se spécialiser, à Talavera de la Reina, dans les livres d'instruction primaire, les différentes branches de la "science curative" et les journaux "dont les doctrines seront républicaines" (41). Sans qu’on puisse parler d’un marché véritablement national qui mettra des décennies à s'organiser, il semble que les éditeurs et imprimeurs aient eu recours à ces nouvelles facilités puisqu'on voit un certain E. Tovar protester, depuis Calatayud, contre l'envoi de paquets non affranchis de prospectus et autres annonces d'œuvres, le port étant donc à sa charge. En 1843, la Unión Literaria (de Mellado, Hidalgo et Laverñe) publie une liste de 31 dépositaires installés à Arjona (3 528 habitants), Baeza (42), Benavente, Cuevas, Játiva, Santo Domingo de la Calzada (3 720 habitants), Tijola, etc. Les instituteurs (maestros ) sont souvent des correspondants attitrés qui bénéficient des mêmes conditions que les libraires. Quant à Delgado ses ouvrages sont en vente en 33 endroits différents dans toute l'Espagne.

            Certains éditeurs et libraires -autres que D. Hidalgo- publient des catalogues (comme la Librería de Razola en 1838, « l’établissement typographique » de Bergnes de las Casas (en 1842) et en septembre 1840, la Librería de D. Manuel Sauri de Barcelone en est au n° 8 de son Folletín mensuel et gratuit de Anuncios de librería où sont décrits les ouvrages en vente à la librairie publiées à Barcelone ou dans le reste de la Péninsule y compris celles « ne faisant pas partie de son fonds » ("de ajena propiedad"), pour peu qu'on adresse un exemplaire.

            Le souci d'approvisionner dans les meilleures conditions l'ensemble des détaillants en livres d'origine française amène Casimiro Monier à monter, en 1843, sur le modèle français et en liaison avec la « Société des Editeurs de Paris », un « Dépôt général de la factorerie générale » (Depósito general de la factoría central) de la librairie installée à Paris : "on réussira ainsi à se libérer de l'isolement dans lequel se trouvent les librairies de province (...), s'approvisionner de la multitude de livres étrangers pour lesquels on ne passait pas commande, soit en raison des délais, soit  à cause des incertitudes quant au prix et aux taxes, frais de transport, etc." (43), tandis que F. de P. Mellado se présente comme le correspondant madrilène du « Depósito central de la Librería Española en París (rue Laffite, n° 34) ». D'autres librairies "françaises", comme la Librería belgo-francesa de Poupart (1841), la Casa-Comisión de imprenta y librería de Denné y Hidalgo y Cía, occupent le même créneau (cf. Botrel, 1986).

            Après une tentative -apparemment  sans suite- de publier une Bibliografía de España o periódico general de imprenta y librería, c'est en 1840 que, sur le modèle de la Bibliographie de la France, Dionisio Hidalgo lance, depuis la Librería Europea, son Boletín bibliográfico o periódico general de todo lo que se publica en España y lo más notable del estranjero en el ramo de libros etc., dont l'abonnement annuel coûte 20 réaux à Madrid et qui est bientôt régulièrement accompagné d'un Boletín de anuncios diffusé gratuitement à 2 000 exemplaires (le n° 6 date du 6 décembre 1843). En 1843, on assure que le Boletín... "circule déjà parmi presque tous les libraires d'Espagne, éditeurs, imprimeurs, hommes de lettres, etc." (44).

 

La lecture publique. C'est à cette époque que les cabinets de lecture déjà présents à Valence (cf. García Ejarque, 2000) se multiplient dans la capitale : entre 1833 et 1842, on enregistre à Madrid la création d'au moins onze d'entre eux, situés au centre de la capitale (Simón Díaz, 1968-1975 ; Zavala, 1971). Ces cabinets sont souvent associés à une librairie, à un journal comme El Vapor, El Guardia Nacional (qui met 1 000 volumes à la disposition des lecteurs), ou El Liberal Barcelonés (8 000 volumes en 1841)), à une agence ou à une salle de billard. Dans celui de C. Monier (Carrera de San Jerónimo, 6 à Madrid) qui est ouvert de 8 heures du matin à 10 heures du soir, on trouve une salle de lecture pour les journaux espagnols, une autre pour les journaux étrangers et une grande collection d'œuvres en diverses langues "pour la lecture à domicile"  (45). Pour y accéder, il en coûte 14 puis 10 réaux (contre 24 réaux chez Mallén, Salvá y Cía). En 1840-45 , la Librería Europea de D. Hidalgo assure que « sept mille tomes de romans, histoires, voyages, mémoires, théâtre et autres œuvres de solide instruction en espagnol, français, anglais et italien sont prévus à cet effet pour que puissent les lire à domicile ceux qui seront abonnés, pour 10 réaux par mois" (46).

            Si en 1833 sont jetées les bases de la constitution en organismes d'Etat des bibliothèques universitaires de Salamanque, Madrid, Valence et Saint-Jacques de Compostelle, la création des bibliothèques publiques dont le principe est arrêté en 1837 tarde à se matérialiser (cf. García López, 2002) :  ce n'est qu'à partir de 1840 que commencent à être ouvertes, à un rythme peu soutenu, les premières bibliothèques provinciales avec des fonds provenant des couvents concernés par les mesures de désamortissement de 1835 et assez peu adaptés aux attentes des "nouveaux lecteurs" (Botrel, 1997a, 1996). Il faut cependant tenir compte de la  progressive constitution d'un nouveau réseau de sociabilité bourgeoise, fait de casinos et cercles qui, outre les indispensables salles de bal et de jeu, offrent la possibilité de lire la presse et, souvent, un embryon de bibliothèque.

 

Lecture et lecteurs. Dans une Espagne où moins de 20% des 12 millions d'habitants sont alphabétisés (avec de fortes disparités régionales : près de 50% à Madrid, mais seulement 11% à Murcia (Moreno García, 1989)  et 18% à Logroño en 1835 (Buisine, 1999)), quand se produit l'incorporation de "nouveaux lecteurs" au bloc traditionnel des lettrés professionnels, héritiers de de l'esprit des Lumières et de ses livres ?

            L'analyse de quelques bibliothèques dans leur dimension sociologique (cf. Martínez Martín, 1991), permet de penser qu'à des dates encore difficiles à préciser, des artisans, industriels ou commerçants accèdent à une culture de l'écrit, et, en tout cas, deviennent proprétaires de livres. C'est ce que nous enseigne également les résultats de la vente aux enchères de février 1832 à Lleida, analysés par M. Botargues (2000, 157-164).

            Comment, cependant, au delà des témoignages contemporains relatifs à la lecture féminine, en pleine expansion, expliquer la rareté des livres dans les lettres de dot ou dans les inventaires après décès ? Sans doute en rappelant, comme le fait M. J. Porro (1991) à propos de Catalina Manzano, une dépendance à l’égard du père ou du mari dont les bibliothèques  et les journaux sont certainement mis à profit par les femmes, avant même que des collections ou des journaux spécifiquement féminins ne fassent leur apparition. Quelque chose néanmoins se prépare et l'on observe une certaine préoccupation des éditeurs pour un public spécifiquement féminin auquel sont censées s'adresser des collections comme la "Biblioteca de señoritas" (Cádiz, 1840, 3 tomes in 16°, 26 réaux), la "Biblioteca de tocador. Colección de novelas originales y traducidas » (47), en plus de la "Biblioteca de Damas" déjà mentionnée et avant que ne publie le "Museo de las hermosas" (4 tomes in 16°). Ces entreprises qui concernent évidemment les femmes suffisamment lettrées et fortunées pour en faire l'acquisition (ou les emprunter dans un cabinet de lecture) ne semblent guère avoir duré. Quant aux femmes écrivains répertoriées par M. C. Simón Palmer pour le XIXe siècle (1991), elles semblent avoir plutôt appartenu à la période ultérieure.

            Les premières références  au "prix économique de paiement échelonné" (48) qui constitueront un peu plus tard un des arguments essentiels de vente des "romans par livraisons" (Botrel, 1974, Baulo, 1998) font leur apparition, en relais de la souscription ou de l'abonnement, mais ne concernent encore que des œuvres aussi onéreuses qu'imposantes. Cependant, en 1843, la souscription a Los Españoles pintados por sí mismos se fait sur la base de 3 réaux la livraison de 8 pages in 4° marquilla (49), avec des illustrations intercalées dans le texte et des hors-texte, sauf pour les abonnés à El Nuevo Avisador ou au Diario auxquels il en coûte 2 réaux seulement. Dans ces conditions, le prix de vente cumulé du seul premier tome est compris entre 150 et 100 réaux, à comparer au prix de l'abonnement du Semanario Pintoresco Español : 4 réaux pour un mois et 36 pour l'année à Madrid, en 1840 ! Chez Bergnes de las Casas, l'œuvre figurant dans le Boletín bibliográfico sous le n° 602 de 1840 revient à 200 réaux pour 32 à 34 livraisons de 48 pages in 8° prolongado (50) avec 800 planches au total et , en 1840, chez Cabrerizo à Valence, les 25 tomes in 8° marquilla des Obras completas del "Vizconde de Chateaubriand" reviennent à 500 réaux, avec 102 planches (láminas finas), il est vrai, alors que celles de Larra, en 13 tomes, ne coûtent que 175 réaux en 1841. En 1843, Pons y Cía commence à Barcelone la publication de la Sagrada Biblia (de Scio) prévue en 70-75 livraisons et 6 tomes in 4° mayor, "quasi folio", soit pour un prix de 315/337, 5 réaux. A cette époque selon le Boletín bibliográfico de D. Hidalgo qui en 1842 ouvre une rubrique "Libros de lance" (Livres d'occasion) puis "Librería antigua", on peut pour 600 réaux acquérir les deux parties des Comedias de Lope de Vega (Amberes, 1607) et le Romancero general de 1599 (Imp. J. de la Cuesta) pour 1 250 réaux.

            Il est intéressant, par ailleurs, de remarquer le projet  national dont est porteur l'ouvrage Recuerdos y bellezas de España  édité par F. J. Parcerissa y Boada, entre 1839 et... 1872, avec "des "vues pittoresques dessinées d'après nature ou daguerréotypées" (600 lithographies au total) et dont l'acquisition est rendue compatible, pour des raisons évidemment commerciales, avec des souscriptions " par province", comme c'est le cas pour celle de Barcelone en 1839-1840.  En 1842, l'ouvrage España. Obra pintoresca con gravats calcografics d'Antoni Roca y Sillent présente des caractéristiques similaires.

            La présence d'illustrations encore réalisées à l'acier ou en lithographie renchérit souvent le prix de livres qui sont vendus entre 7 et 9 réaux le volume lorsqu'il comprennent une illustration mais 6  et quelquefois même 4 réaux, sans illustrations. C’est ainsi qu'en 1840 on aura pu faire l'acquisition d'un Quichotte en 4 tomes in 8° avec 24 illustrations pour 34 réaux (51).

            Il faudra attendre 1843 pour voir la Unión Comercial  prendre l'initiative d'une "Biblioteca continua de obras literarias amenas, históricas, instructivas y piadosas para todos los genios, edades y condiciones" (52), vendues 2 réaux le volume, à l’exception de petits romans de quelque 90 pages, « avec une couverture en couleur », qui sont proposés à un réal pièce et dont on promet une parution quotidienne, sauf les dimanches et jours de fête. On y trouve publiés La Celestina dont le prix "normal" était de 20 à 24 réaux en 1841, Camiré de Mr. de Florian ou La piel del león de Carlos de Bernard.

            Une préoccupation pour les connaissances encyclopédiques mises à la portée d'un public élargi semble d'ailleurs se faire jour : en 1842, J. Oliveres publie à Barcelone un Mosaico de conocimientos científicos o sea colección de estudios variados, curiosos e indispensables en sociedad redactados para instrucción de los que no pueden estudiar a fondo ciertas materias y para recuerdo de los que las poseen (53). En 1843, il existe chez la Viuda de Jordán un projet d'Enciclopedia portátil de ciencias, literatura y artes -il s'agit d'une traduction- qui doit paraître en tomes de plus de 300 pages in 32°.

            C'est l'époque où apparaissent les premiers feuilletons dans la presse et s'établissent d'étroites relations entre celle-ci et l'édition de collections de livres : dès 1839, on trouve annoncée une "Colección de novelas de La Mariposa ", qui est un "Periódico de literatura y modas" publié par Romero Larrañaga, et qui semble avoir paru du 10 avril 1839 à juin 1840. En 1840-1841, on trouve une "Biblioteca popular de El Nacional.". En 1842, El Heraldo publie des œuvres de Dumas, Balzac ou G. Sand dont Consuelo (vendu par ailleurs 16 réaux les deux tomes in 8°) qui est offert gratuitement aux abonnés, tout comme Elisa, "roman écrit par Mr. Varennes" est offerte aux abonnés de El Corresponsal. A cette date débute la "Biblioteca recreativa del Liberal barcelonés" qui publiera 7 volumes de février à avril et continuera jusqu'en octobre 1844.

            Se produit-il alors un particulier engouement pour les reproductions artistiques déjà présentes dans un certain nombre d'intérieurs ? On remarquera, en tout cas, l'intense activité de calcographie (ou lithographie) et la promotion qui est faite dans le Boletín bibliográfico des produits en résultant (l'Album de las tropas carlistas del Norte , composé, en 1843, de 6 livraisons de 5 estampes chacune, par exemple), à des prix qui semblent toutefois trop élevés (entre 12 et 24 réaux en 1841 pour la Colección litográfica de cuadros del Museo de Madrid) pour qu'on puisse envisager une concurrence sérieuse pour l'estampe religieuse traditionnelle. Cependant, en 1843, 104 Retratos de varones ilustres de la Nación española (54)  seront proposés à 6 réaux le portrait.

 

Conclusion : En 1843, le libraire espagnol D. Hidalgo compare l'état du commerce du livre en Espagne à celui de la Grande Bretagne  et de l'Italie  et même de Saint Petersbourg (55), et il fait ce commentaire : "étant donné l'état d'agitation politique ou se trouve l'Espagne, il n'est pas étonnant que ne puissent être entreprises des spéculations de grande ampleur dans cette importante branche du commerce (...). Cependant il est évident qu'on observe, jour après jour, que le mouvement littéraire est en augmentation » (56).

            C'est en effet, à partir de 1843, que l'édition va prendre véritablement son essor : en témoignent la fièvre des créations de sociétés capitalistes d'édition, dont la Sociedad Literaria d'Ayguals de Izco, la création du journal catholique d’évaluation des œuvres littéraires et autres, La Censura , le boom en Catalogne des xylogravures populaires avec Cavanach, Noguera, etc. (cf. Fontbona, 1992), la création de la Sociedad de Escritores Dramáticos, etc. En 1845, on comptera à Madrid qui commence à attirer des imprimeurs catalans, comme Boix, Rivadeneyra, Gaspar i Roig, Marés, etc., 75 imprimeries, 57 librairies ou "débits de livres » (« despachos de libros") et 21 étals (puestos)...

            Comme le souligne Jesús Martínez Martín (2002, 11), les années 1833-1843 sont une période où l'Espagne du livre et de l'imprimé commence à laisser derrière elle "le lent démantèlement de l'Ancien Régime, qui en termes de production et consommation de livres signifie la dissolution des corporations, une nouvelle législation de la presse, la lente disparition de la culture officielle protégée sous le mécénat de l'Etat absolu et les premières pièces de la rénovation technique dans la production du livre et l'augmentation et diversification des collectifs de lecteurs".

            C'est le début d'une longue et lente construction (57).

 

                                   Jean-François Botrel (Univ. Rennes 2/Pilar).

 

Etudes citées :

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Alonso Seoane, María José, "Traducciones de relatos de ficción en la Gaceta y el Diario de Madrid, 1823-1830", in F. Lafarga, C. Palacios, A. Saura (eds.), Neoclásicos y románticos ante la traducción, Murcia, Univesidad de Murcia, 2002, p. 19-33.

Artigas Sanz, María del Carmen, El libro romántico en España, Madrid, CSIC, 1943-45.

Aymes, Jean-René (1997), "L'image de George Sand en Espagne (1836-1850), in : Aymes, J.-R. & Fernández Sebastián, J., La imagen de Francia en España, Bilbao, p. 243-262.

Baulo, Sylvie, La trilogie romanesque de Ayguals de Izco. Le roman populaire en Espagne au milieu du XIXe siècle .Thèse ; Univ. Toulouse-Le Mirail, 1998.

Botargues i Palasí, Meritxell, Consumo cultural en la ciudad de Lleida (1808-1874), Lleida, Edicions de la Universitat de Lleida/Pagès Editors, 2000.

Botrel, Jean-François,  "Sur la condition de l'écrivain en Espagne dans la seconde moitié du XIXème siècle : Juan Valera et l'argent", Bulletin hispanique, LXXII, n° 3-4, 1970, p. 292-310.

Botrerl, Jean-François, "Les aveugles, colporteurs d'imprimés en Espagne I. La confrérie des aveugles de Madrid et y la historia literaria (le à la liberté du commerce (1581-1836)", Mélanges de la Casa de Velázquez, IX, 1973, p. 417-482.

Botrel, Jean-François, "Les libraires français en Espagne (1840-1920". In : Histoire du livre et de l'édition dans les pays ibériques. La dépendance, Presses Universitaires de Bordeaux, 1986, p. 61-90

Botrel, Jean-François, Libros, prensa y lectura en la España del siglo XIX, Madrid, Fundación Germán Sánchez Ruipérez, Ed. Pirámide, 1993.

Botrel, Jean-François, "Los nuevos lectores en la España del siglo XIX", Siglo diecinueve, 1996, n° 2, p. 47-64.

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