De l’hispanisme parisien

 

Jean-François Botrel

Université Rennes 2

 

( in : A l'origine des études aréales. Langues et cultures étrangères en Sorbonne. David Marcilhacy & Miguel Rodriguez (dir.), Paris, SUP, 2023, pp. 117-136).



 

 

Il existe certainement un hispanisme parisien comme il existe un hispanisme toulousain ou bordelais, même si une grande partie des hispanistes de Paris ont commencé par être béarnais, ariégeois, etc. et qu’il y a quelque chose de pour le moins réducteur à qualifier, par exemple, Marcel Bataillon d’hispaniste parisien.

         Il n’est pas sûr, d’ailleurs, que tous les acteurs de l’hispanisme à Paris —et pas seulement à la Sorbonne– se soient reconnus ou se reconnaissent comme parisiens : disons qu’ils sont davantage perçus comme parisiens qu’ils ne le sont effectivement.

         Mais pour une histoire de l’hispanisme français et international encore largement à écrire, et compte tenu du rôle historiquement joué par la capitale de la France dans l’organisation du système d’enseignement et recherche, il est certainement indispensable de commencer par celle de l’hispanisme à Paris[1].

        

 

 

DE L’HISPANISME ET DES HISPANISTES.

        

         La réalisation de cette histoire présente un certain nombre de difficultés. En effet, malgré les apports fondamentaux d’Antonio Niño[2] et de Jean-Marc Delaunay[3] ou des contributions sur quelques figures de l’hispanisme français comme Jean Bouzet[4], Henri Peseux-Richard[5] ou, bien sûr, Marcel Bataillon et d’autres acteurs fondamentaux de l’hispanisme parisien souvent célébrés à l’occasion de nécrologies[6], beaucoup, comme Alfred Morel-Fatio, Raymond Foulché-Delbosc ou Ernest Martinenche n’ont pas encore bénéficié des monographies que toute évidence ils méritent[7]. Pour l’histoire de l’enseignement de l’espagnol, on ne dispose de rien de comparable au livre de Jérémie Dubois sur L’enseignement de l’italien en France[8], et, avec la disparition de Jacques Maurice le projet d’histoire de la Société des Hispanistes Français est resté en suspens : l’histoire de l’hispanisme français en tant que discipline et corporation semble donc bien encore à écrire.

D’où les limites annoncées de cet essai confié, en outre, à un hispaniste breton, formé initialement à Rennes et Bordeaux, et qui n’a découvert l’hispanisme parisien qu’après 1968.

 

         Ce qui est d’ores et déjà acquis, c’est que l’hispanisme français (et donc, l’hispanisme parisien) est loin d’avoir toujours été un hispanisme universitaire et scientifique, dédié à l’enseignement des langues, littératures et civilisations ibériques et aux recherches qui l’accompagnent, dont on situe communément la naissance officielle à Paris, dans la Revue historique sous la plume d’Alfred Morel-Fatio en 1879.

         On peut discuter avec Bartolomé Bennassar[9] cette « vérité » et considérer qu’il y a eu des hispanisants, des hispanophiles, voire des hispanistes avant la lettre et la fin du XIXe siècle, se demander si César et Antoine Houdin ou Théophile Gautier étaient des hispanistes parisiens, au moins à certains moments, tout comme Eugenio de Ochoa qui, pendant son long séjour à Paris (1836-1844) réalisa un travail que n’avaient pas encore fait les érudits français : établir un Catálogo razonado de los manuscritos españoles existentes en la Biblioteca Real de París (1844) et travailler sur le Cancionero de Baena conservé à la Bibliothèque Nationale[10].

         Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que la production de connaissances relatives au monde hispanique n’est pas l’apanage  de la « philologie » et qu’elle se trouve largement répartie entre des disciplines.  En s’en tenant, faute d’une bibliométrie rétrospective spécifique, aux thèses soutenues en France depuis le début du XIXe siècle jusqu’en 1970 sur des thèmes hispaniques[11], on peut dire que toutes les disciplines ont été concernées, y compris la théologie et l’odontologie, par exemple : sur 1 252  thèses soutenues, il y en a environ 200 en médecine, un peu plus de 200 en sciences, près de 600 en droit (dont un tiers de sciences économiques[12], les thèses en Lettres et sciences humaines (500 titres environ) ne représentant que 40% de la production et moins de 30% (28%) si on ne tient compte que des thèses sur les littératures espagnole, portugaise et latino-américaine (350 titres environ).

         Comme, jusqu’en 1970 qui sera le terminus ad quem de ces réflexions, 70% des thèses sur des thèmes hispaniques sont soutenues à Paris – et Nanterre à partir de 1964[13]–, on peut dire que l’hispanisme parisien ainsi caractérisé rend compte en grande partie de ce qu’a été l’hispanisme français. 

         Certes, parmi les auteurs des thèses de médecine, de droit et même d’histoire sur des thèmes hispaniques, il y a en a peu qui soient conscients d’appartenir à l’hispanisme ou de contribuer à sa construction ; ils sont d’abord médecins, juristes, historiens, etc. ; mais qu’importe ? L’hispanisme qui est une discipline de contact et de médiation ne se définit pas seulement par une adhésion identitaire porteuse d’exclusions ; il est aussi la résultante de tous les courants d’intérêt pour la chose hispanique ou ibérique  que certains hispanistes assument avec plus de détermination, voire de vision « politique », et sans doute, une meilleure compétence linguistique qui, au départ, n’était d’ailleurs pas toujours vérifiable. Si grâce à tous ces travaux s’en suit une meilleure connaissance, plus complète, variée et juste du monde hispanique ou ibérique, l’hispanisme français ne peut que s’en féliciter, car c’est bien là la finalité ultime de l’activité des hispanistes.

Cette situation sommairement décrite (prééminence parisienne et diversité des apports) est évidemment à nuancer : l’hispanisme pédagogique, par exemple, a d’abord été montpelliérain, toulousain et bordelais avant de finir par concerner Paris et elle a pu évoluer, mais c’est sur ces bases, cette diversité et cette ambitieuse largeur de vue, que l’hispanisme conscient, militant et organisé, s’est constitué à Paris et en France, malgré la Sorbonne, qui au moins dans un premier temps –disons jusqu’à la création de l’Institut d’Etudes Hispaniques (IEH) en 1917–, s’est montrée plutôt réservée sinon hostile, lorsqu’il s’est agi de considérer la chose hispanique/ibérique, comme un enjeu en soi.

 

L’HISPANISME PARISIEN MALGRE LA SORBONNE ?

 

         En effet, on peut dire que l’hispanisme parisien s’est d’abord développé en dehors de la Sorbonne et malgré elle. 

 Très majoritairement, les premiers hispanistes parisiens ne furent pas des universitaires même s’ils avaient été formés à l’université: c’est le cas d’Alfred Morel-Fatio et de Raymond Foulché-Delbosc, avant qu’Ernest Martinenche n’occupe le poste d’espagnol créé à la Sorbonne en 1906 et seulement transformé en chaire en 1919. Ils sont les représentants de ce que Paul Guinard a qualifié d’hispanisme monastique (de pure érudition) vs l’hispanisme séculier ou universitaire[14]. Des « indépendants », selon Henri Peseux-Richard[15].

Mais pour l’hispanisme parisien, l’élément le plus déterminant sans doute, plus que dans d’autres universités françaises, a été l’investissement des professeurs d’espagnol de l’enseignement secondaire en faveur de leur discipline aussi bien en tant que militants qu’en tant qu’auteurs de manuels, alors qu’en raison d’une demande utilitaire l’espagnol est enseigné dans écoles professionnelles, mais a encore du mal à se faire une place dans les lycées.

 On doit aux enseignants provinciaux du Midi d’avoir réussi à conquérir patiemment des positions, jusqu’à obtenir la création d’enseignements d’espagnol dans la capitale – des postes qu’ils vont d’ailleurs immédiatement convoiter – et aux universités du Midi d’avoir pris les premières initiatives en direction de l’Espagne.

Ce sont ces enseignants qui ont lutté contre la supposée absence de valeur suffisante des langues méridionales pour l’éducation intellectuelle et le mythe de langue facile, considérée comme une incitation à la paresse alors que la valeur éducative des langues du nord était incontestable[16]. Les tenants des langues du Sud ont d’ailleurs pu retourner le compliment : « les professeurs de langues nordiques ont généralement l’esprit lourd et la compréhension rétive », assurait Henri Peseux-Richard qui n’épargnait pas non plus certains enseignants des langues méridionales qui sont « si faciles que personne ne se donne la peine de les apprendre à ceux qui les enseignent[17] ». 

Cette solidarité militante des défenseurs et promoteurs des langues méridionales n’a cependant pas été sans failles. On peut ainsi observer comment, à Paris, dans les années 1910, certains défenseurs ou promoteurs de l’enseignement de l’espagnol, comme Peseux-Richard ou Gaston Rimey, forgent leur identité contre ceux du Midi, en s’opposant à la pandilla des Mérimée et Cirot qui s’intronise à Paris[18]. En 1911 Peseux invite Rimey à venir « renforcer le petit bataillon des hispanisants de Paris pour faire un peu contrepoids aux autres[19] » (B 107) et semble en vouloir particulièrement à « l’Illustrissimus Cirot ». L’hispanisme français est « un champ d’Agramant, et comme on comprend bien, dit-il,  le splendide isolement et le cruel dilettantisme d’un Foulché-Delbosc » qu’il considère comme son « chef de file[20] ».

Le développement de l’enseignement de l’espagnol dans le secondaire à partir de 1902 a donc fini par concerner les lycées parisiens où sont affectés en un nombre croissant d’agrégés.  

Ce sont ces enseignants (Gaston Rimey, Victoria Parayre, Edoaurd Barry, Henri Peseux-Richard, A. Fouret, E. Dibie) qui sont les auteurs des premiers outils pédagogique ou manuels pour l’enseignement de l’espagnol dans le secondaire  et ils mériteraient une étude spécifique. S’ils ne sont peut-être pas tous parisiens, on sait en tout cas qu’en 1912 l’éditeur Delagrave, pour le manuel destiné aux candidats au Brevet supérieur, « ne veut qu’un professeur de Paris[21] » et que cette production de manuels sera bientôt contrôlée, depuis Paris, par l’Inspection Générale.

Certains de ces mêmes enseignants d’espagnol dans les lycées ou en dehors sont déjà associés au recrutement de leurs pairs, seuls ou sous la présidence d’universitaires, et les tensions sont déjà sensibles au niveau de la formation universitaire entre les tenants d’une formation plus pédagogique et ceux d’une formation scientifique[22].

         A la Sorbonne, manifestement sensible à un conservatisme général qui amenait à mal considérer l’enseignement des langues vivantes, et à de pas considérer du tout les langues méridionales, sinon marginalement[23], l’intérêt pour l’espagnol, les études hispaniques, et la formation des professeurs n’est intervenue que bien après Toulouse et Bordeaux.

         Une confirmation de cette tendance lourde nous est donnée par l’histoire de la création de l’Ecole des Hautes Etudes Hispaniques, de l’Institut Français de Madrid et de l’Institut d’Etudes Hispaniques (IEH).

 Sur les conditions de création de l’Ecole des Hautes Etudes Hispaniques, de l’Union des étudiants français et espagnols et de l’Institut français de Madrid, puis de la « Villa Velazquez », on sait, grâce aux travaux de Jean-Marc Delaunay[24], le rôle prééminent joué par les universités de Bordeaux et de Toulouse auxquelles furent associées celles de Montpellier et de Paris, l’Institut de France ayant pu, en certaine occasion, venir à la rescousse.

Quant à l’initiative prise par des Espagnols visant à créer à Paris un Centre d’Etudes Hispaniques à partir du Centre privé d’études franco hispaniques ouvert en 1913, on sait grâce à Antonio Niño[25], qu’au départ la Sorbonne n’a manifesté pour lui aucun enthousiasme.

En 1912, l’avis du Conseil d’université de Paris sur le projet de création de ce Centre d’Etudes Franco-Hispaniques qui en 1928 deviendra l’Institut d’Etudes Hispaniques (IEH) est que « la Universidad de París debe limitarse, en lo que respecta a España, a secundar los esfuerzos de Toulouse y Bordeaux[26] », des réticences qui ne seront levées qu’en 1917, avec son rattachement à l’université de Paris, sans doute sous l’effet du rapprochement franco-espagnol : c’est bien sûr à Paris que se rend une mission d’intellectuels espagnols en octobre 1916 et c’est à la Sorbonne que se tiendra, en mai 1919, la Semana española[27].

Cela n’empêche pas de nombreux étudiants parisiens de l’École Normale Supérieure ou de la Sorbonne d’être bénéficiaires des bourses mises en place par l’ Institut des Hautes Etudes Hispaniques (IHEH),  certaines étant d’ailleurs dotées par la Sorbonne[28]. 

         L’intérêt de l’université de Paris (et d’autres) semble, en revanche, avoir été beaucoup plus fort pour l’Amérique latine : lorsque, le 4 février 1908, est créé le Groupement des Universités et des Grandes Ecoles de France pour les relations avec l’Amérique latine, c’est Ernest Martinenche, en poste à la Sorbonne depuis 1906, qui en est élu secrétaire général et c’est lui qui participe au Congrès de géographie et d’histoire de l’Amérique latine à Séville en 1914, à une époque où  comme l’observe Bernard Lavallé[29],  la participation des hispanistes français à la production scientifique sur l’Amérique latine est encore assez maigre. C’est probablement la première manifestation concrète de la part de l’Université de Paris de l’intérêt géo-stratégique que pouvait représenter le développement d’une conception large de l’hispanisme et des liens avec les pays hispaniques. Quelque chose que les hispanistes ont aujourd’hui quelque fois du mal à prendre en compte mais qui fut totalement assumée par certains de nos grands anciens et qui explique en partie le rôle qu’a pu jouer Paris dans ce développement.   

 

PARIS CAPITALE DE L’HISPANISME MALGRE TOUT.

 

         Il n’est pas besoin de rappeler le rôle particulier —certains disent privilégié— qu’a joué Paris dans l’organisation territoriale, politique, économique, culturelle, universitaire, etc. de la France, et l’hispanisme parisien a évidemment bénéficié de cette centralité.

         A titre d’exemple, en 1914, la Sorbonne qui en 1914 abrite 17 308 étudiants soit plus d’un tiers des étudiants en France (50 000 en 1920). Cependant, entre 1932 et 1938 le nombre d’étudiants en espagnol est encore limité : entre 80 et 125[30]. Autour de 1956, les 900 étudiants d’espagnol inscrits à Paris représentent plus de 40% du total des étudiants d’espagnol en France et on a vu que la Sorbonne jouissait d’une situation quasiment hégémonique pour la délivrance des titres de docteurs, la tendance ne commençant à s’inverser qu’à partir de 1950-1960.

Mais il ne faut pas oublier les autres lieux de formation et/ou de recherches où l’espagnol et les études hispaniques furent parfois enseignés avant que la Sorbonne ne l’accepte dans ses cursus: l’Ecole Pratique des Hautes Etudes,  les écoles de commerce[31], les “grands lycées” parisiens et leurs professeurs qui, pour certains d’entre eux, seront, comme Bouzet, « appelés » à l’université, et, par la suite, le Collège de France (A. Morel-Fatio, M. Bataillon, F. Braudel, I. S. Révah) ou plus tard  le Centre d’études et de recherches ibéroaméricaines annoncée en 1954 par l’université libre de Paris, sans oublier l’Ecole Normale Supérieure qui, même sans avoir de vocation hispanique spécifique, s’avèrera une grande pourvoyeuse en hispanistes formés dans d’autres disciplines[32]. Et l’on peut poursuivre avec une longue liste d’institutions ou de lieux d’activité qui confirme cette concentration de moyens qui ont assis le rôle de Paris dans l’hispanisme français.

A Paris se trouvent les ministères dont celui de l’Instruction publique ou de l’Education nationale, et tous les grands organismes qui lui sont rattachés comme l’Inspection générale qui régule les carrières et bientôt le recrutement, les différentes académies constituant l’Institut de France, les différentes ambassades. Jusqu’aux sièges des associations: c’est, par exemple, à Paris, au Lycée Louis-le-Grand qu’est créée, le 31 juillet 1905,  la Société des Professeurs de langues méridionales qui en 1936 deviendra la Société des Langues Néo-Latines.

Depuis longtemps les manuels pour l’apprentissage de l’espagnol sont édités à Paris, chez Baudry pour la Colección de los Mejores Autores Españoles, puis, au début de l’enseignement de l’espagnol, chez Garnier frères, Armand Colin, Delagrave, Didier (associé à Privat, de Toulouse) et, plus tard, chez Hachette[33] ou Eugène Belin où Bouzet publie ses ouvrages[34]. Entre 1949 et 1968, 10 des 11 manuels de second cycle pour l’apprentissage de l’espagnol mis sur le marché sont édités à Paris et ont pour auteurs des « parisiens», des inspecteurs, pour la plupart[35] . C’est à Paris qu’est créée, par Foulché-Delbosc, la Bibliotheca hispanica[36],  avant la Bibliothèque de l’Ecole des Hautes Etudes Hispaniques (1918) et à côté de la Bibliothèque méridionale publiée sous les auspices de la Faculté des Lettres de Toulouse depuis 1892.

         On oublie trop souvent, parce qu’il ne s’agissait pas d’une revue universitaire, qu’avant le Bulletin Hispanique, fut publiée à Paris une Revue hispanique mais aussi la revue Hispania (1918-1922), le Bulletin de la bibliothèque américaine qui en 1916 devint le Bulletin de l’Amérique Latine puis, de 1922 à 1932, la Revue de l’Amérique Latine[37].

Ce à quoi il faut ajouter toute la presse nationale en général[38], qui peut aussi accueillir des articles d’hispanistes universitaires et non universitaires[39], et les traductions de l’espagnol qui sont pour leur majorité elles aussi éditées à Paris.

Si l’on s’intéresse aux ressources documentaires, fondamentales pour toute discipline, comment ne pas remarquer que Paris est aussi la ville qui en offre le plus, y compris dans le domaine hispanique ? La Bibliothèque Nationale avec ses manuscrits catalogués par Ochoa et Morel-Fatio et étudiés par Menéndez Pelayo, mais aussi un fonds espagnol naguère catalogué sous une cote spécifique et, bien sûr, la bibliothèque de l’Institut d’Etudes Hispaniques de Paris qui en 1934 comprend déjà 9 000 volumes et dont l’important fonds ancien a fait l’objet d’un catalogage en 1982[40]. Que de nombreuses librairies espagnoles existaient à Paris avant que n’ouvre, en 1927, la Librairie espagnole, rue de Seine, puis Librairie hispano-américaine, rue Monsieur le Prince[41]. Sans oublier les maisons d’édition de l’exil, comme Ruedo ibérico.

Paris, c’est enfin –au moins au début du XXe siècle– l’Athènes moderne, attractive pour (presque) tous pour les hispanophones, y compris pour ceux qui y ont échoué malgré eux ; la ville qui draine la plupart des boursiers de la Junta de Ampliación de Estudios[42] et ce que François Delprat appelle « la afición mundana a la investigación universitaria[43] ».

Bref, par rapport à la province, Paris et sa centralité comportent pour ceux qui y exercent beaucoup d’avantages d’ordre matériel ou symbolique[44], certainement mérités par ceux qui y prétendent mais qui leur donne durablement un pouvoir de facto que les hispanistes des autres universités ont plus de difficultés à asseoir, même au temps révolu des « mandarins ».

On comprend mieux ainsi que très tôt l’affectation à Paris ait été convoitée (« obtenir Paris ») et soit devenue un enjeu, comme dans le cas d’Ernest MartinencheParis, Klincksieck,. Mais on constate aussi que la « montée à Paris » où les carrières sont censées culminer fait partie du parcours ordinaire des enseignants du secondaire à Paris[45]. Ces parcours sont contrôlés et régulés par l’Inspection générale : c’est ainsi que Martinenche, qui cumule cette fonction avec celle de professeur d’université,  peut estimer que pour Jean Villégier, c’est  “trop tôt” pour Paris et qu’il ne se résigne que difficilement à appeler Bouzet à Paris, ce qui arrive finalement en 1931[46].

Une prosopographie des hispanistes de la Sorbonne depuis les origines permettrait certainement vérifier la fréquence de parcours professionnels qui, après une formation « classique » –non hispanique[47]– et un passage souvent long par l’enseignement secondaire en province suivi de la réalisation d’une thèse principale et d’une autre complémentaire, comportent une fin de carrière à Paris[48], la qualité d’ancien élève de l’Ecole Normale Supérieur semblant jouer un rôle important, voire décisif. Cette tendance un moment qualifiée de « parisianite », ne commencera à s’atténuer qu’au début des années 1960.

L’hispanisme parisien se nourrit donc de l’hispanisme provincial, mais aussi, ce qu’on a tendance à oublier, d’hispanophones présents à Paris pour des raisons diverses mais qui obéissent aux effets des politiques de leurs pays d’origine et à l’attractivité de Paris, qu’ils soient ou non passés par le moule universitaire français. On y reviendra.

La position dominante de la Sorbonne en matière de délivrance des titres de docteur, déjà évoquée, lui permet, par ailleurs, avec l’essaimage qui accompagne l’essor de l’enseignement de l’espagnol au niveau universitaire, de coloniser et contrôler une bonne partie des départements de province[49], même si on note une volonté croissante d’émancipation de la part de ceux-ci. Sans vouloir bien sûr mésestimer les qualités individuelles d’hispanistes parisiens qui ont su créer la Revue Hispanique, favoriser le développement des langues méridionales dans les lycées parisiens ou les relations avec l’Amérique latine et l’Espagne, produire avec Marcel Bataillon une réflexion fondamentale sur l’hispanisme et plus tard pousser à un aggiornamento de leurs missions, pour prendre quelques exemples, il semble évident que l’hispanisme parisien a pu bénéficier de la situation décrite précédemment, et on peut donc dire que dès après la Première guerre mondiale et jusque dans les années 1960, l’hispanisme parisien avec l’IEH en tant que lieu de formation en lien notamment avec l’ENS, a joué un rôle essentiel dans l’organisation de l’hispanisme français.

L’analyse spécifique de l’action de Morel-Fatio et Foulché-Delbosc et des directeurs successifs de l’IEH jusqu’en 1968 (Martinenche, Bataillon, Delpy, Ricard et Aubrun) permettra certainement de mieux l’apprécier.

Mais pour comprendre tout le rôle joué par l’hispanisme parisien, il est une autre dimension à prendre en compte : c’est sa dimension politique.

 

HISPANISME PARISIEN ET GÉOPOLITIQUE.

 

Pour dire les choses simplement et qui ressemble à une lapalissade,  il n’y a pas d’hispanisme sans Espagnols ou Hispano-américains et l’hispanisme parisien s’est, en effet, constitué en liaison étroite avec l’Amérique latine et l’Espagne. .

         Par l’établissement et le maintien de relations individuelles ou institutionnelles par delà les frontières, à des fins de recherche ou de formation. S’agissant des relations entre érudits espagnols et français, on peut prendre l’exemple de Menéndez Pelayo  qui sera pendant longtemps le correspondant espagnol des hispanistes français, à commencer par Morel-Fatio[50] ou, plus tard, celui de C.-V. Aubrun dont les relations établies à l’occasion de séjours en Espagne, notamment à l’université de Murcie, eurent une forte influence sur sa vie personnelle et professionnelle. Des Espagnols émigrés à Paris comme Miguel Toro y Gómez (1851-1922) et son fils, Miguel de Toro y Gisbert (1880-1966), auteurs de dictionnaires et manuels, ou Ventura García Calderón, impliqué dans la revue Hispania, ou, de façon plus institutionnelle, au sein de l’IEH, des lecteurs d’espagnol (Américo Castro, Pedro Salinas, Jorge Guillén, Rafael Lapesa, Arcadio Pardo, etc.) ou d’autres comme Aurelio Viñas Navarro[51], directeur-adjoint de l’IEH, ou, encore, Manuel Núñez de Arenas (1886-1951), professeur à l’Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud à partir de 1948, ont décisivement participé à la formation –pas seulement linguistique !– des futurs hispanistes.

         Sans qu’il s’agisse d’hispanistes, on connaît, par ailleurs, le rôle décisif dans la création de l’IEH d’Espagnols résidents à Paris, comme le Marqués de Casa Valdés (1871-1938), José María Quiñones de León (1873-1957) et Carlos Ibáñez de Ibero[52], ou de Jaime Torres Bodet, président de l’Académie latine, avant qu’à la suite de la Guerre d’Espagne ou par le fait des régimes dictatoriaux en Amérique Latine et l’exil auquel il a contraint de nombreux intellectuels et universitaires, ne se constitue la figure des hispanistes d’origine hispanique ou ibérique[53] et une hispanisation de l’hispanisme ou lusitanisation du lusitanisme.  L’institution universitaire et la Sorbonne ont-elles toujours su reconnaître l’importance de ces souvent prestigieuses contributions exogènes, de toutes ces dettes intellectuelles[54] ?

         Quant aux finalités de l’hispanisme et à sa dimension « politique », qui ont très tôt été exprimées du côté français[55],  elles sont moins connues du côté espagnol et pourtant elles amènent à se rendre compte de ce que la construction de l’identité de l’hispaniste est largement  redevable de ces attentes et des évolutions observées dans l’objet d’étude lui- qui orientent les approches et les regards des hispanistes, dans une sorte d’interaction.

         Il ne fait, par exemple, aucun doute de ce que la création du Centre d’Etudes Franco-Hispaniques  puis de l’Institut d’Etudes Hispaniques est largement redevable d’une volonté manifestée par l’Espagne –ou des Espagnols– de promouvoir une politique culturelle en France à partir de Paris, favorisée, en 1917, par le rapprochement entre l’Espagne et la France, et que ces attentes ont trouvé d’immédiats échos.

         En 1929, lors de l’inauguration le 29 mai, Américo Castro (1885-1972), ancien lecteur d’espagnol à la Sorbonne, après avoir évoqué les figures d’hispanistes essentiellement parisiens[56], rappellera quelque chose d’important pour un hispanisme français qui « se caractérise par sa capacité à combiner heureusement la rigueur intellectuelle la plus stricte et la sympathie la plus vive pour tout ce que la civilisation espagnole a représenté et représente encore de nos jours », à savoir qu’il « a évolué avec la nature de l’objet qui lui fournissait son thème », ce n’est lui contester aucun mérite, souligne Américo Castro qui s’exprime en français. Il signale alors trois directions dans l’activité des « hispanisants » français (c’est le terme qu’il emploie):

-un idéal de précision érudite (d’accord avec le positivisme du siècle dernier)

-le désir de découvrir et d’exprimer la beauté et le charme d’un pays aux reflets infinis

-la préoccupation tout à fait moderne de considérer la civilisation espagnole par rapport aux idées morales et philosophiques des autres pays[57] ».

         Ainsi se trouve configuré un hispanisme sans doute un peu différent de celui des origines ou de celui qui majoritairement se pratique alors et révélée la le souhait que l’Espagne puisse être considérée dans le concert des nations.

         D’autres, comme le recteur de l’université de Barcelone, Eusebio Díaz ou González Olivares, professeur à l’université de Grenade,  ont des attentes plus explicites et fixent à l’hispanisme la mission de  “rendre sa valeur légitime au nom espagnol enveloppé parfois fallacieusement des ombres de la légende noire forgée par des esprits pervers, recueillie par des oreilles frivoles et acceptée par le troupeau des sots et des esclaves de l’ignorance » ou encore, de  “scruter et éclairer les profondeurs de la véritable Espagne, celle qui se dérobe sous les apparences de ce pittoresque superficiel qui va de la pourpre des fêtes populaires à la tache sombre des légendes d’intolérance et de cruauté[58] ».

Dans son discours, Ernest Martinenche semble répondre par avance à ces attentes quand il assure que  l’Institut n’enseignera pas seulement la langue espagnole et la littérature mais aussi l’amour de l’Espagne,  répondant ainsi à quelques distances aux souhaits formulés par Rafael Altamira en 1898[59]. « Ce n’est pas après tout la moins bonne façon de servir la France », assure-t-il[60].

         Au delà de l’exaltation réciproque de l’Espagne ou de la France éternelle, dans la mise en avant de la civilisation latine, dans les initiatives de la France en direction de l’Espagne et de l’Amérique latine ou de l’Espagne en direction de la France, on mesure toute l’importance accordée à l’hispanisme français et surtout parisien.

L’IEH, sans être un Centre d’action et de propagande comme celui créé par la France à Madrid à partir de l’Institut français en 1915-1916,  est foncièrement —c’est le cas de le dire— redevable de la politique culturelle de l’Espagne depuis sa création et même avant,  jusqu’en 1972. Comme centre d’action culturelle il a répondu, de façon variable au fil du temps, à ces attentes, en sachant, le cas échéant, résister à l’instrumentalisation : on trouvera dans le livre d’Antonio Niño, les programmes de cours et conférences par des maîtres espagnols qui nous offrent de beaux exemples de ces conceptions de l’hispanisme et donnent beaucoup de regrets de n’avoir pu être étudiants à cette époque[61].

Après la Guerre d’Espagne, à une époque où l’Espagne franquiste songe à se doter d’une politique culturelle extérieure, notamment en direction de l’hispanisme international, on trouve, dès 1939, sous la plume de l’attaché culturel de l’époque, Joan Estelrich, un projet de transformation de la revue Occident publiée à Paris, en un mensuel, la Revista internacional de hispanismo, « órgano internacional del hispanismo, consagrado exclusivamente a la valoración de España, de sus esencias tradicionales, de su cultura, de su espíritu y de su significación actual[62]». Appliquée à l’hispanisme français et plus spécialement parisien, cette volonté d’instrumentalisation s’exprimera encore plus directement, en 1959, sous la plume de José Luis Messía, le conseiller culturel de l’ambassade d’Espagne à Paris, soucieux d’ « encauzar por vías auténticas este hispanismo francés tan abundante, tan valioso (…) pero tan propenso a la caricatura, a adaptarnos a sus “clichés” y a confundir apariencias con esencias[63] », Ricard (« un hombre con el que nunca encontraremos problemas ») étant préféré à Aubrun (« erasmista », mais appuyé pour la direction de la Casa de Velazquez), tous les deux représentant néanmoins la tendance orthodoxe  alors que  le recteur Sarrailh est qualifié en langage taurin de « animal de siete hierbas[64]». L’Espagne pourra compter sur l’aide de Manuel Muñoz Cortés finalement recruté à la mort d’Aurelio Viñas, en 1958, dans la  tâche de conquête de ce « reducto principal » (l’hispanisme), Paris étant, toujours selon le même conseiller la  “Santa Sede de la cultura universal” et la « Meca del hispanismo, al menos del hispanismo europeo ». Une restriction déjà significative[65].

Grâce à l’ouverture des archives diplomatiques exploitées par A. Niño, on se rend compte de toute l’attention portée par l’ambassade d’Espagne à Paris aux animateurs du Groupe d’Etudes Hispaniques de ces années-là,  Claude Couffon et Robert Marrast, « bien conocidos por su ideología de extrema izquierda y su activismo contra nuestro régimen político[66] » ou encore au « manifiesto alejamiento de la España oficial[67]» du groupe théâtral de l’IEH.

 

EVOLUTIONS.

 

         Nous sommes en 1959 et, contrairement à l’Espagne et à la France éternelles invoquées naguère, l’hispanisme parisien est en train de connaître de fortes évolutions, notamment sous les effets de l’augmentation générale du nombre d’étudiants particulièrement sensible entre 1950 et 70 (il est multiplié par 30) mais aussi de celui des enseignants[68].

Le nombre de candidats postes à l’Agrégation d’espagnol qui était de 18 en 1903 et de 117 en 1956 atteint le chiffre de 664 en 1980, pour 35 postes[69].

S’agissant des thèses de thème hispanique, il faut rappeler que plus de la moitié (54,25%) sont soutenues entre 1950 et 1970, avec un pic en 1970 (74 soutenances), le chiffre de 20 soutenances par an étant dépassé à partir de 1956[70].

         C’est à cette époque que, comme l’observe Marcel Bataillon, s’amorce un mouvement de « décentralisation de notre enseignement hispanique[71] » :  de six chaires ou maîtrises de conférence (au sens ancien du terme) dans six universités en 1938 on passe à 15 postes de titulaires et une douzaine de postes d’assistants dans 12 universités en 1956[72], une tendance favorisée par le recteur Sarrailh qui est aussi à l’origine de la création en 1954 de l’Institut de Hautes Etudes de l’Amérique Latine, avec à sa tête un géographe (Pierre Monbeig) et non un « hispaniste ».

         Ce mouvement de décentralisation et d’implantation des études hispaniques, assorties de créations de postes, en dehors des universités « traditionnelles », comme à Rennes en 1947, entraîne, sinon la fin, l’atténuation de la « parisianite » que dénonçait déjà le doyen Georges Cirot, depuis Bordeaux[73], mais aussi un indéniable essaimage à partir de Paris.

         Il accompagne une atténuation du quasi monopole de la Sorbonne sur les thèses, une tendance déjà perceptible à la fin des années 1960[74].

         Au plan international et national, la présence de l’hispanisme parisien est moins affirmée et dominante : si à la création de l’Asociación Internacional de Hispanistas,  à Oxford en 1962,  les hispanistes français présents sont plutôt parisiens[75], dans l’Hommage à Bataillon de 1963 qui est une initiative bordelaise, sur 57 contributeurs seuls 13 sont « parisiens».

et c’est à Bordeaux, à l’occasion de la remise de cet Hommage, qu’est créée, en 1963, la Société des Hispanistes Français de l’Enseignement supérieur (SHF). Après Marcel Bataillon, son premier président, la SHF n’aura de président parisien qu’assez tardivement et il faudra attendre 1997 pour que le XXVIIIe Congrès de la SHF se tienne à Paris[76].

A sein de l’IEH, il se produit alors une sorte d’aggiornamento, avec la création, en 1962, des Editions hispaniques et, en 1966,  d’une filière de langue aplliquée. Des initiatives pionnières au sein de l’hispanisme français.

         S’agissant des Editions hispaniques, on observe, en effet, qu’outre la publication de nombreuses thèses et travaux d’hispanistes elles affirment très rapidement une ligne éditoriale en lien avec l’enseignement et la préparation aux concours de recrutement et qu’elle s’ouvrent bientôt aux «études hispaniques appliquées[77] ». Car dans la lignée des préoccupations anciennes de Martinenche, émerge bientôt une conception affirmée de l’hispanisme « utilitaire » avec la création en 1966 du centre d’études  hispaniques Appliquées aux Réalités économiques qui deviendra le CEILA (Centre d’études ibériques et latinoaméricaines appliqués), en apparente contradiction avec volonté d’Aubrun de conserver à la formation littéraire la prééminence, à moins qu’on ne l’interprète comme une voie inférieure offerte à ceux qui ne sont  pas capables de suivre l’enseignement d’excellence qu’est celui de la langue et littérature[78]…

         Subsiste néanmoins –mais est-ce bien différent ailleurs ?– une conception mandarinale de l’université et les événements de 1968 seront difficilement vécus par les successeurs de Gaspard Delpy à la direction de l’IEH, Robert Ricard et Charles-Vincent Aubrun : Ricard prendra sa retraite en 1969, un an avant l’âge limite, et Aubrun qui analyse lucidement la nouvelle situation dans ses Mémoires ( « yo tenía todo el poder. Comenzó a cuestionarse », écrit-il[79]) demandera sa mutation pour Nice, auprès de Nelly Le Gal-Clémessy.

         Les conséquences de la loi Faure sur l’organisation de l’hispanisme à Paris sont connues. C’est la division de la Sorbonne entre les universités de Paris III et de Paris IV, selon deux tendances : celle incarnée par Bernard Pottier (linguistique et monde moderne) et celle représentée par « moi » (Aubrun) autour de Literatura hispánica (Península y Nuevo Mundo). Cela n’empêchera pas Paris de continuer, avec l’université de Nanterre, à accueillir la plus forte concentration d’hispanistes.

 

         Pour tirer un premier bilan de cette rapide et imparfaite histoire de quelque 60 années (1906-1970) d’hispanisme parisien, dans ses rapports avec les autres hispanismes en France, en Espagne, en Amérique latine et dans le monde, on pourrait dire que l’hispanisme parisien a indéniablement joui, au plan international, dès avant la création de l’IEH, d’un indéniable prestige scientifique et institutionnel, dont la Revue Hispanique, d’une part, et Martinenche, de l’autre, sont particulièrement emblématiques.

On sait qu’Aubrun a longtemps représenté l’hispanisme français particulièrement aux Etats Unis où il passait un trimestre chaque année à l’invitation de différentes universités[80], et que Marcel Bataillon, alors administrateur du Collège de France,  sera en 1965, le deuxième président de l’Asociación Internacional de Hispanistas créée en 1962, après Rafael Lapesa, ancien lecteur d’espagnol à la Sorbonne, comme on sait.

Il serait vain de prétendre établir un quelconque ranking ou classement de Shangaï rétrospectif de l’hispanisme pour y situer l’hispanisme parisien… Quel a été l’impact sur l’hispanisme et les hispanistes français des Martinenche, Delpy, Bataillon, Sarrailh, Aubrun, Rumeau, Ricard et de tant d’autres enseignants-chercheurs de la Sorbonne ? L’histoire institutionnelle de l’éducation a toujours beaucoup de difficultés à en rendre compte, à commencer par ce qui passe effectivement dans la classe ou l’amphi. En ce sens, ce que Daniel Henri Pageaux dit d’Aristide Rumeau (qui a finalement peu publié) ou Augustin Redondo du même Rumeau et de Bataillon (il ne parle pas des autres) est particulièrement précieux[81]. L’analyse quantitative de la production scientifique ou des citations ne suffit pas pour apprécier l’impact produit par la parole savante à travers l’enseignement, la direction de thèses ou les interventions dans les colloques ou congrès, à travers lesquels, comme le souligne Françoise Waquet[82],  se forge l’autorité[83].

Du point de vue institutionnel, malgré la Sorbonne, grâce à l’Espagne et à quelques individualités comme Ernest Martinenche et Marcel Bataillon, et en bénéficiant de la centralité de Paris,  l’hispanisme parisien (un hispanisme plus large que celui existant dans une faculté des lettres) s’est constitué en centre de référence pour l’hispanisme, à côté des centres historiques que sont Montpellier, Toulouse et Bordeaux.

         Il s’est constitué en attirant des compétences exogènes –surtout méridionales– plutôt qu’endogènes, et déjà aguerries dans l’enseignement secondaire et universitaire. Grâce à la quasi hégémonie dont la Sorbonne et donc l’IEH jouissaient pour la délivrance des titres de docteurs jusque dans les années 1960, il a été un vivier essentiel pour l’hispanisme français.

Sans disposer d’une revue comme le Bulletin hispanique, sa centralité et ses initiatives en matière de publications ont fortement contribué à lui donner une assise et un prestige international, de plus en plus partagés avec d’autres centres de l’hispanisme français, avec la dissémination de l’enseignement de l’espagnol à partir des années 1950-1960.

Souhaitons, pour terminer, que l’appel lancé dans la préface au Bouzet de Rodrigues soit entendu et que d’autres publications « entre histoire et épistémologie permettent à l’hispanisme scolaire et universitaire de mieux expliquer ce qui fonde son originalité, mais aussi ce qu’il partage avec d’autres langues et disciplines, et, finalement, aux professeurs d’espagnol d’aujourd’hui et de demain, à ceux d’hier aussi, de prendre pleine conscience de ce qui est à l’origine de leur identité intellectuelle et professionnelle, c’est-à-dire d’eux-mêmes[84] ».       

Avec l’espoir que ce modeste retour en arrière sur l’hispanisme parisien puisse y contribuer.

 


[1] Dans la catégorie « hispanisme » et donc « hispanisme parisien », on entendra, au sens large,  un courant intellectuel et scientifique appliqué au monde ibérique et ibéro-américain dans son ensemble, même si on ne peut ignorer qu’il existe un « hispanisme hispano-américain », des américanistes, des lusistes, des catalanistes, etc.

[2] Antonio Niño Rodríguez, Cultura y diplomacia. Los hispanistas franceses y España, 1875-1931, Madrid, CSIC, Casa de Velázquez, Société des Hispanistes Français, 1988 ; Un siglo de hispanismo en la Sorbona, Paris, Editions hispaniques, 2017.

[3] Jean-Marc Delaunay, Des palais en Espagne. L’Ecole des Hautes Etudes Hispaniques et la Casa de Velázquez au cœur des relations franco-espagnoles du XXe siècle (1909-1979), Thèse de doctorat de 3e cycle, Université Paris I-Sorbonne,  Paris, 1987; id., Madrid, Casa de Velázquez, 1994 ; id., Méfiance cordiale: les relations franco-espagnoles de la fin du XIXe siècle à la Première guerre mondiale, Paris, L’Harmattan, 2010.

[4] Denis Rodrigues, Jean Bouzet professeur d’espagnol, Anglet, Atlantica, 2003.

[5] Jean Bélorgey, Les débuts de l’hispanisme en France d’après une correspondance inédite, Publishroom, 2016.

[6] D’une façon générale, et plus particulièrement s’agissant de Paris, on observe l’absence d’une prosopographie aboutie pourtant indispensable pour caractériser les hispanistes et leur œuvre : dans la galerie de portraits en cours d’accrochage dans le cadre de la célébration du centenaire (Cent ans d’hispanisme) limitée, pour l’instant, à 32 hispanistes, seuls 13 étaient disponibles en octobre 2017.

[7] Voir, cependant, les études consacrées à Ernest Martinenche, Aurelio Viñas, Robert Ricard, Charles-V. Aubrun, Henri Peseux-Richard, Alfred Morel-Fatio, Mathilde Pomès dans ce livre. On sait, par ailleurs, que la Bibliothèque municipale de Versailles conserve les manuscrits et une partie de sa correspondance de Morel-Fatio, mais les archives de Foulché Delbosc conservées à l’Institut d’Etudes Hispaniques “hasta una fecha indeterminada” sont apparemment introuvables (cf. Antonio Niño Rodríguez, Un siglo de hispanismo…, op. cit., p. 88).

[8] L’enseignement de l’italien en France. 1880-1940 : une discipline au cœur des relations franco-italiennes (Grenoble, ELLUG, Université Stendhal, 2015) qui heureusement concerne pour partie l’espagnol en tant que langue méridionale

[9] Bartolomé Bennassar, « Panorama de l’hispanisme français », dans Jean Sagnes (dir.), Images et influences de l’Espagne dans la France contemporaine, Ville de Béziers/Presses Universitaires de Perpignan, 1994, pp. 27-33.

[10] Avant le Catalogue des manuscrits espagnols et portugais de la Bibliothèque Nationale, de Morel-Fatio publié en 1881-1892. Cf. Raquel Sánchez, Mediación y trasferencias culturales en la España de Isabel II, Madrid/Frankfurt am Main, Iberoamericana/Vervuert, 2017, p. 218-219.

[11] Cf. le Répertoire des thèses française relatives au monde ibérique et ibéro-américain des origines à 1980 de Jean-Noël Guittard ([Bordeaux], Maison des Pays Ibériques, [Paris],  Klincsieck, 1993), où sont prises en compte toutes les thèses, y compris, celles de 3e cycle, à partir de 1958.

[12] On peut ainsi constater que dix ans avant la soutenance de la thèse de René L. F. Durand sur El movimiento literario en Venezuela en la era romántica, considérée dans l’hispanisme français comme la première thèse sur l’Amérique latine, avait été réalisée une thèse sur L’économie de Haïti, de la République Dominicaine et de Cuba, due à un certain Boyer.

[13] Ce pourcentage s’élève à 80%, si dans la catégorie des hispanistes on n’inclut pas les  Georges Desdevizes du Dézert, Alfred Baudrillart, Jules Humbert, Louis Barrau-Dihigo,  Fernand Braudel, Pierre Vilar, Pierre Chaunu, Jean Baruzi, etc. A Toulouse, on dénombre 108 thèses dont celles d’Ernest, Henri et Paul Mérimée, 98 à Montpellier, 59 à Bordeaux (dont celle de Cirot en 1904 ou Jean Sarrailh, en 1930), et 117 dans les autres universités (celle de Pierre Jobit, soutenue à Poitiers, ou Marcelin Défourneaux soutenue à Lyon, en 1959, par exemple).

[14] Cf. Antonio Niño Rodríguez, Cultura y diplomacia…, op. cit., p. 160.

[15] Jean Belorgey, Les débuts de l’hispanisme…, op. cit., p. 167.

[16] Catherine Heyman, « Du Bulletin de la Société des professeurs de langues méridionales à la revue Les Langues Néo-Latines (1906-2016): quelle histoire! », Les Langues Néo-Latines, n° 381, juin 2017, p. 9 ; Antonio Niño Rodríguez, Un siglo de hispanismo…, op. cit., p. 17 et 63.

[17] Jean Belorgey, Les débuts de l’hispanisme..., op. cit., p. 145.

[18] Ibid., p. 116.

[19] Ibid., p. 107.

[20] Ibid., p. 180.

[21] Ibid., p. 137).

[22]  Cf., par exemple, ce qu’à propos de l’obligation d’être titulaire d’un Diplôme d’Etudes Supérieures, pour pouvoir se présenter à l’Agrégation déclare M. Legouis, professeur à la Sorbonne : « Qué necesidad tiene un futuro profesor de enseñanza secundaria […] de volcarse en un estudio libresco, cuando lo más útil para él sería dedicarse a ver las cosas y a vivir con la gente ? » (Antonio Niño Rodríguez, Un siglo de hispanismo…, op. cit., p. 13). NB.  Antonio Niño ne donne qu’une version en espagnol des citations en français.

[23] Il existait à la Sorbonne une chaire de langues et littératures méridionales détenue jusqu’en 1906 par Emile Gebhart (1839-1908) qui était plutôt italianiste. En 1909, pour la première fois, il est question de littérature brésilienne en Sorbonne, à propos de Machado de Assis dont une traduction paraîtra l’année suivante. Mais les cours de portugais seront longtemps financés par le Portugal, et il faudra attendre 1935 pour qu’une Maîtrise de Conférences de portugais y soit créée et transformée en chaire en 1936. Elle sera successivement occupée par Georges Le Gentil, Robert Ricard (de 1946 à 1953), Léon Bourdon (de 1953 à 1969),  puis Raymond Cantel et Paul Teyssier. Quant au catalan, c’est la Fundació Cambó, centre d’études de l’art catalan et de la civilisation catalane, qui en assure la promotion à Paris à partir de 1929, le Centre d’Etudes catalanes n’étant créé qu’en 1978.

[24] Voir Jean-Marc Delaunay, Des palais en Espagne…, op. cit.

[25] Antonio Niño Rodríguez, Un siglo de hispanismo…, op.cit., p. 30-31.

[26] Ibid., p. 30.

[27] Ibid., p. 41-42.

[28] Entre 1909 et 1928, selon Jean-Marc Delaunay (REF) 15 des 37 bourses furent attribuée à des étudiants parisiens (Ricard, Delpy, Bataillon, Vilar, par exemple) mais seulement 10 sur 106, entre 1959 et 1970.

[29] Bernard Lavallé, « Cuando el hispanismo francés descubría a América… », Srtosetzki, Christoph, J.-F. Botrel, M. Tietz (eds), Actas del I Encuentro Franco-Alemán de Hispanistas (Mainz, 9-12-3-1989), Frankfurt am Main, Vervuert Verlag, 1991, pp. 63-74.

[30] Entre 1932 et 1938, le nombre de certificats d’études supérieures attribués chaque année s’élève à 12 pour la philologie et les études pratiques et à 9 pour la littérature. En 1955-56, il y avait à l’IEH, 650 étudiants en licence, 100 en Diplôme, 120 en Capes et agrég 20 (Antonio Niño Rodríguez, Un siglo de hispanismo…, op.cit., p. 107). 

[31] Par exemple, l’Ecole des Hautes Etudes Commerciales où enseignait Foulché-Delbosc jusqu’en 1905 date à laquelle il fut “libéré” grâce à Archer Milton Huntington.

[32] Jean-Marc Delaunay, Des palais en Espagne…, op. cit. p. 1016-1032.

[33] Qui publie des Classiques où figure, par exemple,  El águila y la serpiente édité en 1953 par Noël Salomon.

[34] Por buen camino (1939), España de ayer (1952), España de hoy (1954),  Grammaire espagnole (1946).

[35] Cf. Denis Rodrigues, L’enseignement de la civilisation hispanique en France. Discours et idéologie des manuels à l’usage du Second cycle (1949-1985). Thèse univ. Rennes 2, 1989.

[36] Le premier tome (Comedia de Calisto y Melibea) paraît en 1900  et les tomes 21-22 (Poesías de Pedro Lopez de Ayala, en 1920, à New-York). Du grand projet de Manuel de l’hispanisant, seul le premier tome sera publié, en 1921.

[37] D’après Ch. Lesca, Trésorier du Groupement des universités et grandes écoles de France pour les relations avec l’Amérique latine (« Histoire d’une revue » dans Hommage à Ernest Martinenche. Etudes hispaniques et hispano-américaines, Paris, Ed. d’Artrey, s. d., p. 428-440).

[38] Cf. par exemple, l’Université des Annales qui pour la saison 1929-1930, propose un cycle de 15 conférences (ensuite publiées dans le journal Conferencia) intitulé « Le secret de l’Espagne », avec des intervenants français comme Louis Bertrand, J. et J. Tharaud, Jean Cassou, André Corthis, etc.

[39] Citons, par exemple, Jean Camp, Jean Cassou, Mathilde Pomès, Robert Pageard, Jean Bécarud, mais la liste pourrait être beaucoup plus longue.

[40] Cf. Jean- Noël Guittard, Catalogue du fonds ancien de la bibliothèque de l’Institut d’Etudes Hispaniques de Paris, Paris, Klincksieck, 1982.

[41] Cf. Jean-François Botrel, «La librairie "espagnole" en France au XIXe siècle», dans J.-Y. Mollier (dir.), Le commerce de la librairie en France au XIXe siècle. 1789-1914, Paris, IMEC Editions/Editions de la Maison des Sciences de l'Homme, 1997, p. 287-297; Ana Martínez Rus, "San León Librero": las empresas culturales de Sánchez Cuesta, Gijón, Trea, 2007.

[42] Jean-Marc Delaunay, Méfiance cordiale…, op. cit., p. 645-646.

[43] François Delprat, « América latina » dans  Société des Hispanistes Français de l’enseignement supérieur, La investigación sobre temas hispánicos en Francia (1862-1984). España y América latina. Actas del XX Congreso (Madrid, 30 de marzo-1° de abril de 1984),  Madrid, SHF, 1985, p. 166.

[44] D’où, peut-être cette mention, digne d’une plaque de médecin, associée à tel hispaniste, en 1966 : « ex-assistant à la Sorbonne ». D’autres mentionnent leur appartenance à la Faculté des lettres de Paris.

[45] Cf. ce qu’écrit Henri Peseux-Richard à Gaston Rimey, franc-comtois d’origine et  professeur d’espagnol  à  Foix à propos de son avenir : « Inspecteur d’Académie ? J’espère bien que non et que vous n’allez pas nous lâcher ainsi, nous les indépendants, nous, les hispanisants qui voyons dans notre spécialité autre chose que le moyen de gagner de l’argent ou des faveurs. Professeur au Havre ? Oui, comme dernière étape avant Paris. Professeur à Paris ? Eso sí que sí » ;  et de se livrer à un inventaire des prochaines retraites dans la discipline, à Paris (Jean Bélorgey, Les débuts de l’hispanisme…, op. cit., p. 167).

[46] Cf. Denis Rodrigues, Jean Bouzet…, op. cit.,  pp. 30-37.

[47] Comme Marcel Bataillon, Paul Teyssier, Noël Salomon et beaucoup d’autres qui « bifurquent » vers l’espagnol ou le portugais.

[48] C’est le cas de Martinenche, Delpy, Bataillon, Ricard, Aubrun, Bernard Pottier, etc.

 

[49] D’où le qualificatif de « parisiens » (ou « turbo-profs ») appliqué aux hispanistes exerçant en province mais continuant à résider à Paris. En 1965, dans la préface à l’édition de son travail présenté en dactylographie comme thèse de doctorat d’Etat en Sorbonne », le 13 juin 1959, devant un jury comprenant, entre autres, A. Rumeau , C.-V. Aubrun et M. Bataillon (Recherches sur le thème paysan dans la « comedia » au temps de Lope de Vega, Bordeaux, Institut d’Études Ibériques et Ibéro-Américaines, 1965), Noël Salomon rappelle qu’en 1948, Gaspard Delpy, successeur, en 1945, de M. Bataillon à la direction de l’IEH, le « fit nommer » à la Faculté des Lettres de Bordeaux. Par la suite, comme le rappelle Maxime Chevalier (« Noël Salomon (1917-1977) », Bulletin Hispanique, n° 79 1-2,  janv.-juin 1977, p. 14), se refusant « à céder à la « parisianite », il annoncera qu’il ne sera pas candidat à la Sorbonne. « Décision d’une immense portée, souligne M. Chevalier. En effet depuis la disparition de Georges Cirot, les maîtres de l’hispanisme bordelais avaient tous été attirés par l’Université parisienne ». En 1956, Joseph Pérez est « appelé » par M. Rumeau à cette même Faculté des Lettres de Bordeaux (Joseph Pérez, La révolution des « Comunidades » de Castille (1520-1521), Bordeaux, Institut d’Études Ibériques et Ibéro-Américaines 1970, p. 7).

[50] Cf. Pablo Beltrán de Heredia, « Correspondencias de hispanistas franceses con Menéndez Pelayo »,  Revista de la Universidad de Madrid, 1942, p. 141-167; Jean-François Botrel, « El  papa de la crítica : Menéndez Pelayo y la literatura española en Francia », 2012, DVD (Biblioteca Nacional de España : APCS/5048).

[51] Auteur avec Jeanne Agnès de Les mots espagnols et les locutions espagnoles groupés d’après le sens (Hachette, 1948) encore recommandé dans années 1950 et qui sera directeur-adjoint de l’IEH.

[52] Sur Quiñones, cf. Pierre Salmon https://ieh.hypotheses.org/2041; sur Casa Valdés et Ibáñez (cf. Antonio Niño Rodríguez  https://ieh.hypotheses.org/882 et Un siglo de hispanismo, op. cit., p. 29) ; sur les différents donateurs, cf. Archives du lundi, n° 66 (https://ieh.hypotheses.org/category/larchive-du-lundi).

[53] Cf. García Cárcel, Ricardo, E. Serrano Martín (eds.), Exilio, memoria personal y memoria histórica. El hispanismo francés de raíz española en el s. XX, Zaragoza: Institución « Fernando el católico », 2009.

[54] Un indicateur serait la délivrance de doctorats honoris causa ou de décorations ou la participation à des hommages… Le seul titre de Docteur Honoris Causa que la Sorbonne ait décerné à un hispanique avant 1970 semble avoir concerné  Rafael Altamira. C’est l’université de Toulouse qui honora Menéndez Pidal en 1921 et celle de Grenoble qui honora Miguel de Unamuno en 1935 (Colette et Jean-Claude Rabaté, Miguel de Unamuno. Biografía, Madrid, Taurus, 2009, p. 624). Dans l’hommage fait en 1899 à Menéndez Pelayo, la seule participation française est celle Foulché-Delbosc, sous le pseudonyme d’Ad. Grandier.

[55] Très tôt expressément affichées par Imbart de la Tour, par exemple, dans le Bulletin Hispanique, en 1899, aux lendemains du Desastre en faveur d’une Entente intellectuelle ou d’alliance morale entre la France et l’Espagne (cf. Antonio Niño Rodríguez, Un siglo de hispanismo…, op.cit., p. 26.

[56] Sont cités : Morel-Fatio (« érudit sévère, précis, apte à susciter des vocations »), Emile Bertaux (« le plus fin connaisseur de l’art espagnol »), Gaston Etchegoyen (« mort sans avoir achevé son beau livre sur Sainte-Thérèse ») et pour ceux « qui travaillent actuellement dans le domaine des études hispaniques », Georges Cirot, Pierre Paris,  Louis Barrau-Dihigo, Le Gentil, Coster, Baruzi, Collet, Boussagol, Schneider et, parmi les plus jeunes: Bataillon, Sarrailh, Ricard, Carayon, Cassou (Inauguration de l’hôtel de l’Institut d’Etudes Hispaniques de l’université de Paris 29 mai 1929, Institut d’Etudes Hispaniques, pp. 35-36). Un exemplaire dédicacé par E. Martinenche à l’Asociación de Alumnos y Amigos del Instituto Francés en España et non coupé en 2016, est conservé à  Casa de Velázquez.

[57] Inauguration de l’hôtel…, op. cit., p. 34.

[58] Ibid., p. 13 et 18.

[59] Cf. Jean-François Botrel, « Ser hispanista », en : El español en el mundo. Anuario del Instituto Cervantes 2014. Madrid: Instituto Cervantes y AEBOE, 2014, p. 98.

[60] Inauguration de l’hôtel…, op. cit.,  p. 29

[61] Cf. Antonio Niño Rodríguez, Un siglo de hispanismo…, op.cit., pp. 82-84.

La Presse française et espagnole annoncent et rendent compte de ces conférences (Ibid., p. 286).

[62] Josep Massot i Muntaner, Escriptors i erudits contemporanis. Segona sèrie, 2000, p. 128 et sq. Cf. dans ce livre, l’étude d’Elisée Trenc, sur  « Joan Estelrich : le parcours d’un catalaniste à l’époque franquiste ».

[63] Cf. Antonio Niño Rodríguez, Un siglo de hispanismo…, op.cit. , p. 100 et sq.

[64] Ibid., p. 103. Ce qui pourrait être familièrement traduit par « un animal coriace dur à cuire ».

[65] Ibid., p. 105.

[66] Ibid., p. 114-115. « Bien connus pour leur idéologie d’extrême gauche et leur activisme contre notre régime politique ».

[67] Ibid., p. 116. « un éloignement manifeste à l’égard de l’Espagne officielle ».

[68] En 1962, il y avait 2 300 étudiants d’espagnols à Paris (Antonio Niño Rodríguez, Un siglo de hispanismo…, op.cit., p. 110). En 1957-61, selon D.-H. Pageaux (référence : Archives du lundi), il y avait à la Sorbonne, au moins 15 enseignants pour l’espagnol (Charles-Vincent Aubrun, Nelly Clémessy, Claude Couffon, Pierre Fouché, Hawelka, Jacques Lafaye, Robert Marrast, Albert Mas, Maurice Molho, Muñoz Cortés, Juan Murcia, Mathilde Pomès, Robert Ricard, Aristide Rumeau, Simone Saillard, Paul Verdevoye).

[69] Michèle Glais, Histoire des concours de recrutement des professeurs d’espagnol. Mémoire de maîtrise Rennes 2. Dir. J.-F. Botrel, 1987.

[70] En 1955, sur 3 666 thèses soutenues en France, seules 16 concernent le domaine hispanique ; 58 en 1969 sur plus de 9 000 thèses.

[71] « Jean Sarrailh (1891-1964) », Bulletin hispanique, 65-3-4, 1963, pp. 465-471

[72] Une Maîtrise de Conférences d’espagnol est, par exemple, créée à Grenoble en 1957, dont Robert Jammes sera le premier titulaire. En 1988, selon l’Annuaire de la SHF, il y avait, à Paris, 168 enseignants d’espagnol et de portugais (émérites, associés et lecteurs compris), dont 29 professeurs.

[73] Maxime Chevalier, « Noël Salomon (1917-1977) », art. cit.,  p. 14. S’agissant des enseignants de portugais ou d’espagnol de la Faculté des Lettres de Rennes, autant Georges Boisvert que Michel Darbord et Robert Marrast seront plus ou moins rapidement recrutés à Paris.

[74] Entre 1969 et 1979, dans le domaine études ibériques, de 70-80% le pourcentage de thèses soutenues à Paris tombe de 70-80% à 62% (66 sur 106).

[75]  Participent au congrès : Aubrun, Devoto, Bataillon (et Muñoz Cortés), Flecniakoska (Montpellier), Pottier (Strasbourg) (Cf. Primer Congreso Internacional de Hispanistas. Oxford, 1962. Edición facsímil del Programa, Soria, Asociación Internacional de Hispanistas, Fundación Duques de Soria, 2007).

[76] Il est vrai qu’après Bordeaux, Toulouse, Montpellier et Poitiers, le Ve congrès de la SHF s’était tenu à Nanterre, une université créée en 1962 (cf. Jean-François Botrel, « El ’68 de un hispanista francés », Gaceta Cultural del Ateneo de Valladolid, n° 83, abril de 2018, p. 2-5) et que ses premières journées d’études furent organisées à Paris (à la Maison de l’Amérique latine), en 1988.

[77] Sur cette entreprise éditoriale qui mériterait une étude en soi, cf. Antonio Niño Rodríguez, Un siglo de hispanismo…, op.cit., pp. 119-121.

[78] Ibid., p. 121

[79] Charles-Vincent Aubrun, Mémoires, Marburg, Hizeroth, 1991, cité par Antonio Núnez, Un siècle d’hispanisme, op. cit., p. 127.

[80] Cf. Antonio Núnez, Un siècle d’hispanisme, op. cit., 299 , et Michel Darbord, « Charles Vincent Aubrun », Bulletin hispanique, n° 95-2, 1993,  pp. 719-720.

[81] Daniel-Henri Pageaux, « Aristide Rumeau, : un bon maître et un maître bon » (ieh.hypothèses.or/1377 ; Augustin Redondo, « Que le monde entier soit votre jardin : un humaniste hispaniste dans son siècle », dans Claude Bataillon, Marcel Bataillon. Hispanisme et engagement. Lettres, carnets, textes retrouvés (1914-1967). Préface de Augustin Redondo, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2009, pp. VII-XVI.

[82] Françoise Waquet, Parler comme un livre. L’oralité et le savoir (XVIe-XXe siècle), Paris, Albin Michel, 2003.

[83] Pour ma part, étudiant à Rennes (1961-1964) et à Bordeaux (1964-1965), lorsque j’essaie de discerner ce que je dois à l’hispanisme « parisien », il me vient à la mémoire, comme élève au lycée, Les mots espagnols d’Agnès-Viñas qui m’ont permis de connaître en espagnol des noms d’oiseaux que j’ignorais en français, et Tras el Pirineo (I et II) de Duviols et Villégier. A la Faculté des Lettres de Rennes, j’ai été élève de Michel Darbord que nous avions du mal à considérer comme rennais, de Robert Marrast dont l’accent toulousain ne le faisait pas associer à priori à Paris, et d’Antonio Otero Seco doublement exilé (en France, à Paris, puis à Rennes, « la ciudad de la niebla, de la quietud y del aburrimiento ») dont j’ai tant appris. J’ai bien sûr, par la suite, été lecteur de Bataillon ou Braudel (tardivement), apprécié les leçons de Manuel Tuñón de Lara qui fut parisien malgré lui avant de gagner Pau, et de Pierre Vilar, mais rien d’Aristide Rumeau, de Charles-Vincent Aubrun (une heure de cours, en 1965, pour voir), ni de Robert Ricard (à l’égard duquel Josette Blanquat éprouvait tant de haine) sauf, je ne sais pourquoi,  un articulet paru en 1968 dans le  Bulletin Hispanique (pp. 104-105) sur cebolla et patata (oignon-montre) où il dénonce les dictionnaires “victimes de la plus fâcheuse routine”. Mais je garde, par exemple, de grands souvenirs de mes échanges avec Paul-Jacques Guinard ou Maurice Molho (parisien, bordelais, puis à nouveau parisien) et bien sûr, avec mes contemporains (Jacques Maurice, Carlos Serrano, Serge Salaün, etc.), après 1968, il est vrai.

[84] Denis Rodrigues, Jean Bouzet…, op. cit., p. 11.