Cahiers de civilisation espagnole contemporaine [En ligne], mis en ligne le 31 janvier 2015 URL: http://ccec.revues.org/5388 ; DOI: 10.4000/ccec.5388;
in: De la structure à la «fine pointe». Hommage au Professeur Jacques Maurice , Mayenne, Jouve, 2016, p. 43-47.
Jean-François Botrel (Université Rennes 2)
Jacques Maurice et la Société des Hispanistes Français.
Jacques Maurice croyait aux vertus de l’organisation et en avait une conception exigeante, pour lui et pour les autres. De nombreuses illustrations pourraient en être fournies. Limitons-nous ici à ses rapports avec la Société des Hispanistes Français de l’Enseignement Supérieur (SHF), fondée en 1963.
Au delà d’une adhésion presque naturelle comme pour beaucoup d’autres jeunes hispanistes à la fin des années 1960, on peut essayer de caractériser la relation qu’il a entretenue avec elle, comme adhérent fidèle, comme membre du Comité responsable du Prix du meilleur mémoire et, finalement, comme historien.
L’adhérent. Au delà de son adhésion aux finalités statutaires de la SHF[1], Jacques Maurice avait aussi conscience de ce que cette organisation pouvait être un lieu où faire évoluer l’enseignement supérieur et la recherche, en lui assignant des objectifs plus ambitieux afin de servir à travers elle un projet plus global, sans pour autant l’instrumentaliser. Pour ce qu’elle permettait alors. A condition d’en respecter le fonctionnement démocratique et que l’engagement (militant) puisse compter sur le respect par l’institution de ses règles de fonctionnement et de ses propres engagements collectifs. Avec Noël Salomon, élu à la présidence de la SHF en 1970, il participera à l’impulsion de nouvelles conceptions des rapports de la SHF au développement de la recherche. Bien qu’il se soit senti à l’époque plus historien qu’hispaniste[2], il sera d’ailleurs candidat au Comité en 1975 (il lui manquera quelques voix), non pas pour une quelconque satisfaction narcissique, ni par entrisme (bien qu’il ne mésestimât pas la parcelle de pouvoir que donne la qualité de “député”), mais pour l’action, pour ce qu’elle permet d’avancées à inscrire dans les faits. Il contribuera par ses contributions scientifiques, à faire évoluer et enrichir le concept même d’hispaniste alors que la SHF passera progressivement des congrès fourre-tout ou des bilans par siècles à des congrès thématiques de caractère plus méthodologique.
Contributions scientifiques. Par trois fois (en 1979, 1995 et 1997), Jacques Maurice apportera à la SHF une contribution scientifique[3], à quoi on peut ajouter, me semble-t-il, « El hispanismo francés: de la historia social a la historia cultural »[4], co-signé par J.-F. Botrel mais dont Jacques Maurice fut l’architecte et l’artisan principal; un bilan sous forme de « brújula », qui compense heureusement le fait qu’au sein de la SHF on ne l’ait pas expressément chargé d’en faire.
Sa contribution de 1979 au XVe Congrès de Limoges mérite d’être plus particulièrement signalée, parce qu’elle est la contribution de l’équipe de recherche de Paris VIII-Vincennes (Aubert, Brey, Guereña, Maurice, Neel, Salaün) sur « L’expression poétique dans la presse anarchiste espagnole », dans un congrès où sont également présentés les travaux de deux autres groupes de recherches : le SEL (Séminaire d’Etudes Littéraires) sur « Texte et contexte dans un poème de Gabriel Celaya Los relojes de la granja » et une autre Equipe de Paris-VIII-Vincennes (Bachoud, Bergaza, Bouché, Magnien, Mogin, Carmen Salaün) travaillant sur El Cuento Semanal….et qui était également issu du premier groupe de recherches consacrées à l’infra-littérature (1973-1974). La communication synthétique qui fut alors présentée donna lieu à un débat dans le cadre du Séminaire « Poésie et idéologie ». Jacques Maurice en rédigea le compte-rendu[5].
S’agissant des journées d’études initiées en 1988, il n’a participé formellement qu’à celles consacrées à « L'enseignement de la civilisation outils pédagogiques et documents », à Poitiers en 1994. Faute de publication par la SHF des actes de ces journées, il publiera le compte rendu de l’atelier qu’il avait animé, six ans après, en 2000, dans Les Langues Néo Latines, à l’intention des « sections et départements d’espagnol et portugais de nos universités, en particulier dans celles et ceux qui n’auraient pas été directement informés de ce qui s’est dit le samedi 296 mars (1994), de 10h55 à 12h 30 dans la grande salle de l’Institut National de Recherche Pédagogique (INRP) »[6].
Membre du Comité. Jacques Maurice a été membre du Comité de la SHF de 1991 à 1997. Faute de pouvoir pour l’instant analyser les Procès Verbaux des différentes réunions du Comité auxquelles il a participé, j’ai demandé aux présidents de l’époque de témoigner. Le souvenir que Nadine Ly garde de Jacques Maurice, « c’est son intelligence dialectique, très vive et très curieuse, attentive à tous les aspects des questions traitées; un calme souverain et une maîtrise remarquable des paramètres, données, problèmes, incidences, etc. pour chaque décision prise; une très grande franchise dans ses jugements toujours clairvoyants, parfois sévères »[7]. Quant à Michel Moner, il dit avoir « rarement vu, au service de la SHF, un collègue aussi motivé et aussi consciencieux, dans le traitement des dossiers dont il avait la charge (…) nous n’avons pas toujours partagé les mêmes points de vue, mais j’ai toujours apprécié son sens du collectif et sa détermination à défendre l’intérêt de la SHF, dont il se faisait manifestement une très haute idée »[8].
Jacques Maurice sera responsable de l’organisation du Prix du meilleur mémoire de maîtrise depuis sa création en 1993 jusqu’en 1996, pendant son premier mandat, et a donc été la première cheville ouvrière de ce dispositif d’encouragement aux « apprentis » chercheurs, qui a tourné court pour des raisons qu’il reste à analyser. Dans don projet d’histoire de la SHF de 2012, Jacques Maurice regrettait encore que l’engagement pris par la SHF de publier ces mémoires en collaboration avec la Maison des pays Ibériques n’ait pas été respecté alors que le travail de préparation des deux premiers mémoires était pourtant achevé. Il en gardera une certaine amertume et insistera pour en connaître les raisons. Une illustration, à mon sens, de la conception qu’avait Jacques Maurice de l’organisation et de la nécessité de respecter les engagements contractuels ou de dire pourquoi ils n’ont pu être respectés[9].
Avec Marie-Claire Zimmermann il organisera en 1997, le XXVIIIe Congrès de Paris dont il coéditera (à l’université de Nanterre) les Actes en 1998[10]. De l’organisation de ce congrès, Marie-Claire Zimmermann garde « un grand souvenir » et dit avoir admiré chez JM « le sens de la synthèse, le calme constant lors des réunions, le goût du partage, l'absence totale de mesquinerie. La publication des Actes avait été parfaite, claire et efficace »[11].
Par la suite, de 2006 à 2010, il a été un des “sages” chargés de sélectionner les candidats à des bourses de la SHF.
Le projet d’histoire de la SHF. Le dernier investissement de Jacques Maurice au bénéfice de l’hispanisme français aura été son projet d’histoire de la SHF[12], où se manifeste pleinement et —comme toujours— de façon méthodique, l’historien hispaniste attaché à ce qu’a signifié cette organisation pour l’hispanisme français.
Dans le prolongement des interventions d’Augustin Redondo et de Christian Lagarde à l’occasion de la célébration du 50e anniversaire de la SHF, le 20 janvier 2012, à l’Ambassade d’Espagne, Jacques Maurice propose de « constituer et mettre à disposition des curieux – et pourquoi pas ?, de futurs chercheurs – des éléments constitutifs de la mémoire de notre société », mais l’accompagne d’une problématique, d’une ébauche d’architecture, et d’une méthode travail participative.
Le but de cet ouvrage serait de faire connaître aux nouvelles générations d’hispanistes l’action menée par la SHF en faveur de l’étude des langues, des cultures et des sociétés ibériques et ibéro-américaines. A cet effet, l’ouvrage comprendrait une première partie de caractère informatif.
Une seconde partie, plus analytique, mettrait l’accent sur les moments forts qui ont scandé la vie de la Société au long d’un demi-siècle, tant sur le plan scientifique qu’en ce qui concerne sa capacité à évoluer. Comment on est passé de bilans par siècles (à titre d’exemple, la relecture du 18e siècle en 1973, sous l’impulsion du regretté François Lopez) à des congrès thématiques de caractère méthodologique. Comment, et pourquoi, on s’est résolu à alterner congrès scientifiques bisannuels et journées d’étude. Comment à partir de son vingtième congrès, tenu à Madrid (1984), qui a scellé les retrouvailles de l’hispanisme français et de l’Espagne démocratique, la SHF s’est projetée hors de l’Hexagone (congrès de Mayence). Comment elle a collaboré avec d’autres sociétés savantes pour célébrer des événements historiques majeurs : ce fut le cas en 1992 pour le 5e centenaire de la découverte de l’Amérique, objet d’une rencontre à Marseille aux côtés des italianistes. Bien entendu, cette énumération n’est nullement exhaustive, précise Jacques Maurice. Et il insiste sur l’attention qu’il faudra prêter à l’évolution des dispositifs de communication et à leurs contenus. Il envisageait d’ailleurs une édition électronique du résultats de ces recherches avec un caractère évolutif, favorisé par la possibilité d’intégrer de nouveaux apports émanant des lecteurs de la publication initiale. Une conception participative, comme on le voit. Il n’oublie pas dans ses questionnements les aspects de relations institutionnelles mais ne peut que s’en remettre aux témoignages de ceux qui les ont assumées.
Initiateur du projet agréé par l’Assemblée Générale de la SHF, Jacques Maurice se présente, néanmoins, comme un simple chef d’orchestre chargé de le “mettre en musique » (car il devait penser que quelqu’un d’autre pouvait, le cas échéant, en être chargé).
En terminant, il fait état de ses doutes concernant l‘avenir de ce qui était considéré jusqu’ici comme une discipline et qui apparaît aujourd’hui à beaucoup comme un simple champ d’étude noyé dans l’ensemble des Sciences Humaines et Sociales.
Pour éclairer la deuxième phase de la mise en œuvre de ce travail , il avait commencé à mettre à contribution les principaux dépositaires de la mémoire de la SHF, en particuliers ses anciens présidents encore en vie.
Jusqu’à la fin, Jacques Maurice aura décidément su étroitement allier la réflexion épistémologique et la pratique, au service de l’action.
Jean-François Botrel
[1] Art. 2. Cette société a pour but : -d’œuvrer pour le développement de la recherche dans les langues, littératures et civilisations ibériques et ibéro-américaines ; -de contribuer au développement de l’enseignement des langues parlées dans le monde ibérique ; -d’établir des contacts suivis entre hispanistes français, afin de faciliter leurs missions d’enseignement et de recherche ; de collaborer avec l’Asociación Internacional de Hispanistas et de développer les contacts avec associations d’hispanistes d’autres pays.
[2] Cf. la lettre de Jacques Maurice à Noël Salomon du 26 janvier 1976.
[3] « L’expression poétique dans la presse anarchiste espagnole », « Ville et roman au XXe siècle : Madrid » , « Manuel Tuñón de Lara en París (1946-1965) : de las “violencias de la historia” a la España del diálogo ».
[4] Historia Contemporánea, 20, 2000, pp. 31-52,
[5] Texte et contexte : actes du XVe congrès de la Société des hispanistes français (Limoges, 1979), : Limoges : U.E.R: des Lettres et Sciences Humaines, 1981, : 339 p. (Trames. Etudes ibériques ; 3,1981), pp. 335-339).
[6] Les Langues Néo-Latines, n° 214, 2000, p.105.
[7] Message à JFB du 13 décembre 2013.
[8] Message à JFB du 14 décembre 2013.
[9] Jacques Maurice manifesta cette même exigence à l’égard de l’Asociación Internacional de Hispanistas, dont il était également membre, je puis en témoigner.
[10] París y el mundo ibérico e iberoamericano (Actes du 28e Congrès de la Société des Hispanistes Français, 21-23 mars 1997), Centre de Recherches Ibériques et Ibéro-américaines, Université Paris X, Nanterre, 417 p.
[11] Message à Jacqueline Covo.
[12] Document daté du 13 juin 2012, dont je rends compte dans les lignes qui suivent.