«La presse et les transferts culturels en Espagne au XIX e siècle (1833-1914)»
en: Marie-Eve Therenty, Alain Vaillant (dir .), Presse, nations et mondialisation au XIXe siècle , Paris, Nouveau monde éditions, 2010, pp. 55-74.
Reproducido en: http://bib.cervantesvirtual.com/FichaObra.html?Ref=40667
La presse et les transferts culturels en Espagne au XIXe (1833-1914).
Comme l’observe C. Charle, «une grande partie de la dynamique intraeuropéenne au cours du XIXesiècle trouve son origine dans les déphasages et transferts culturels permanents entre les petites et grandes nations ou les nations avancées et les nations retardataires» (2002, 248-9).
Dans ce cadre asymétrique, qui peut caractériser la situation de l’Espagne, à condition de l’élargir à l'Amérique hispanique et de tenir compte des transferts de la Catalogne au reste de la péninsule, la presse (les journaux et les revues), comme appareil collectif de médiation attentif à une circonstance non limitée à l’espace national a joué un rôle déterminant bien que non exclusif dans le transfert, sous forme d’importations et d’exportations de biens matériels ou immatériels ou, au contraire, comme une incitation au repli sur soi.
A partir d’une problématique rappelée par E. Loyer et L. Tournès (2005, 188) concernant les conditions sociales de l’import-export intellectuel et la notion de transfert culturel, ou par A. Vaillant et M. E. Therenty (2005, 285) pour une histoire culturelle des poétiques au XIXesiècle, il s’agira donc d’apprécier le rôle et la fonction dans les transferts culturels d’une presse espagnole qui suit avec un décalage notable et à un niveau de diffusion bien moindre, mais dans une isochronie globale, celle de la France et de l’Angleterre essentiellement, en mettant à profit la plupart des études existantes, une fréquentation ancienne et assidue de la presse espagnole ainsi qu’une récente expérience d’édition de l’œuvre journalistique complète de Leopoldo Alas Clarín [1] , afin de permettre d’éventuelles comparaisons.
Réalités. Il faut partir d’une donnée fondamentale: dans les années 1830, la France est en Espagne le référent privilégié et dans la presse espagnole le matériau référentiel français domine. Comme l’écrivait à sa façon G. Le Gentil (1909, VIII) -ce qui nous invite à réfléchir sur le point de vue à adopter en matière d’histoire culturelle comparée-: «de toutes les influences venues de l’extérieur, la nôtre un instant contrebalancée par l’influence anglaise, celle de l’Allemagne ne s’étant pas exercée de façon continue, est de beaucoup la plus efficace».
C’est effectivement de France –mais aussi d’Angleterre et d’Allemagne- que sont importés les principaux équipements pour l’impression des journaux, y compris les «ustensiles» et les bois préparés pour la gravure [2] .
Favorisée par le développement des transports terrestres, la circulation des hommes, qu’il s’agisse d’exils ou de voyages de formation ou de prospection [3] , permet de plus en plus à une Espagne, où la télégraphie électrique assure dès le milieu du XIXela circulation des dépêches [4] , de vivre dans un temps national mais aussi européen.
Les correspondants à Paris [5] , mais aussi des passeurs conscients des enjeux culturels et économiques, journalistes et éditeurs [6] , utilisent la presse pour transférer de façon plus ou moins organisée et efficace ce qui leur semble pertinent pour le développement de leur pays.
En effet, si une bonne partie de l’information peut être puisée dans la presse publiée en France, en français ou en espagnol [7] , et directement consommée sur tout le territoire espagnol [8] , c’est principalement par imitation, acclimatation ou assimilation que se produisent les transferts.
Pour qui s’est intéressé à la presse espagnole de l’époque romantique, il est assez aisé de déceler les modèles trouvés auprès «grandes sœurs européennes» tant pour ce qui concerne la morphologie de la presse que ses contenus.
Le mimétisme des titres est bien connu [9] , mais c’est la forme même du journal qui se trouve concernée [10] : ce que Le Gentil (1909) observe pour la période romantique [11] , est en effet perceptible dans la durée, à travers l’émergence d’une presse d’information [12] , les Illustrations [13] , mais aussi plus tard la «petite presse», telle El Imparcial (Barrera, 2000, 120), les revues, comme La España moderna , les magazines ou tel ou tel genre journalistique, comme les articles de mœurs, les suppléments littéraires, le conte, le reportage, ou encore le sensacionalismo (Seoane, 259).
Quant aux contenus, outre le phénomène bien connu des feuilletons –et, plus tard, des contes- traduits du français [14] , on peut remarquer qu’à travers les nouvelles de Paris, la critique théâtrale peut être aussi parisienne que madrilène [15] , mais qu’aussi beaucoup d’éléments iconographiques –patrons de mode ou illustrations- sont directement importés de France.
Les modalités. Plus intéressantes que les réalités elles-mêmes sont les modalités d’importation ou de transfert qui concernent la morphologie mais surtout les contenus et qui renvoient au caractère fondamentalement composite du périodique, comme produit d’assemblage, parfois fait de bric et de broc, avec des ciseaux [16] .
Dans les pratiques rédactionnelles, on peut effet assez facilement observer les traitements appliqués aux éléments importéset empruntés: par incorporation directe dans le cas des patrons ou des images [17] , qui peuvent aussi être décalquées (Le Gentil, 1909, 127); après traduction (hispanisation) pour les dépêches reproduitesou les informations tirées de la presse étrangère [18] , avec ou non réélaboration. Car pour tel emprunt repéré, combien d’autres nous échappent? «Nous sommes nés copieurs» dit El Panorama en 1839 (Fernández Sánchez, 1997, 290) et l’Espagne est habitée par la «fureur de traduire» (Fernández Sánchez 1997). Telle revue comme la Revista Europea se contentera de choisir, de traduire ou de résumer les meilleurs articles des revues européennes (Le Gentil, 1909, 76); même chose pour El Panorama qui «vit aux dépens de périodiques étrangers» (Le Gentil, 1909, 93). Dès lors c’est le travail de sélection qui intéresse [19] , de même que les effets de la traduction avec toutes les libertés prises à l’égard de la source, parfois insensées mais souvent aussi riches de sens:
Certaines publications, soucieuses de contrebalancer une influence française et de diversifier, somme toute, ce qui est ressenti comme une dépendance, appliquent les même modalités à la presse allemande. C’est le cas, entre 1862 et 1874, de La Abeja ( L’Abeille ) qui justifie la métaphore de son titre en affichant sa volonté de «goûter à tout et de faire son miel de tout ce qu’elle trouvera de bon où que ce soit» et d’offrir son nectar aux amateurs de «progrès rationnel» [20] . Des démarches semblables ont du concerner la presse anglaise.
Mais on ne saurait non plus ignorer qu’en réaction, quelques périodiques, comme El Laberinto (cf. Fernández Sánchez, 1997), se font une ligne éditoriale de l’ignorance systématique de l’étranger et de la pratique de la traduction et que l’Espagne est elle même exportatrice –parfois ré-exportatrice- de biens journalistiques en direction de l’Amérique hispanique [21] , en concurrence avec la France, essentiellement [22] .
Au sein même de la Péninsule ibérique, à travers des entreprises ibéristes, qui concerne le Portugal mais aussi la Catalogne, on connaît plusieurs tentatives d’organiser les échanges, flux et transferts, y compris en faisant l’économie de la traduction [23] .
Avec un projet et une horizon néo-latins, Raza latina , puis El Mundo latino , s’efforceront, à la fin du siècle et au tout début du XX e , de résister, avec plus ou moins de bonheur, mais en espagnol, à la menace culturelle allemande et britannique [24] , alors qu’en France c’est à peine si la presse connaît l’existence de l’Espagne: la faiblesse des échos hispaniques en son sein est moins une question statistique que culturelle et idéologique, évidemment [25] .
L’inventaire, tant des réalités que des modalités des transferts culturels via la presse, est certainement encore à parfaire, sur pièces, et une meilleure connaissance à obtenir dans d’autres domaines que la littérature, la science et la technologie en particulier.
Reste qu’il est difficile de rendre compte ainsi de ce qui est souvent immatériel et toujours en construction et que c’est sans doute la démarche d’hispanisation à l’œuvre dans la presse, en particulier, et tout le processus de traduction ou d’adaptation, par métissage y compris linguistique qu’elle implique, qui intéresse in fine . Dans tous les cas, il conviendrait certainement de mieux pouvoir mesurer, plus que le degré de dépendance, le niveau d’acclimatation et son inscription, avec un décalage plus ou moins grand, dans le temps commun européen. Peut y aider l’examen des perceptions mais aussi des intentions contemporaines d’une démarche plus que séculaire qui, au delà de l’emprunt et de la consommation symbolique du modèle -les articles et la mode de Paris, par exemple-, acclimate des textes et les images mais aussi les idées.
Perceptions. La presse, en effet, n’est pas avare en réflexions à ce sujet…Pour elle, la France est la pierre de touche [26] ; elle reconnaît que la référence françaiseest «incontournable quand on parle de littérature» (Fernández Sánchez, 1997, 288). Mais elle exprime aussi une certaine amertume devant tant de dépendance: «il ne faut pas perdre de vue que nous parlons et écrivons en français; que c'est en français que nous pensons, que nous mangeons...», écrit le Semanario Pintoresco (Le Gentil, 1909, 63) et le journal El Clamor público peut, le 28-X-1850, regretter qu'enEspagne "nous soyons dans l'obligation de nous alimenter de traductions pratiquement chaque fois que nous voulons remplir d'une lecture agréable le feuilleton des journaux» (Botrel, 1993, 78), des feuilletons qui sont «une servile imitation à la française jusque dans leur nom», écrit La Censura en 1844 (Lécuyer, Villapadierna,1995, 15), avec un sentiment d’impuissance devant une telle déferlante (cf. Baulo, 2006, 483).
Tout cela avec la conscience, certes, de ce que l’Espagne est en retard par rapport à nations plus avancées, mais aussi de ce que la France fait peu de cas de son voisin ou en en a une idée peu précise : c’est pourquoi Lista a le patriotique projet de«réfuter les sarcasmes, critiques et fausses nouvelles sur l’Espagne qu’on peut lire dans les «journaux étrangers» (Barrera, 2000, 72) et que Clarín qui constate que «même avec notre soleil si diaphane, qui leur semble être africain, ils nous voient de façon assez brouillée, à supposer qu'ils nous regardent», se prend à espérer, non sans ironie, le 23-IX-1895 (Alas, 2005, 315), que vienne le temps où «les français étudieront les choses de chez nous avec tout le soin scrupuleux qu'il mettent à bien connaître, par exemple, Madagascar à la conquête de laquelle ils aspirent».
Devant cette situation, deux attitudes se font jour dans la presse.
La première, à dimension identitaire, et incarnée par quelqu’un comme Eugenio de Ochoa, exprime, dans les années 1840, la volonté de se percevoir hors du prisme français: chez lui « coexistent dans l'harmonie une fervente admiration pour les idées nouvelles et pour les principaux écrivains du pays voisin avec le rejet systématique de toute tentative de remplacer les œuvres littéraires, les danses, les modes ou les mœurs espagnoles par celles d’origine française» (Simón, 1946, 8), » et c’est en toute logique qu’il affiche son intention de «populariser parmi les espagnols les noms de beaucoup de grands génies qui ne sont connus que par un nombre réduit de personnes et par les artistes étrangers qui souvent se parent de leurs dépouilles» (Simón Díaz, 1946, 133). Le Gentil (1909, XII) le reconnaît d’ailleurs –«ce sera justice», dit il- «les Espagnols ont fait dès 1836 un effort louable et souvent heureux pour s’affranchir de la tutelle étrangère (…) manifesté leur patriotisme négativement (…) pris à cœur d’exhumer l’art et la littérature nationale» [27] .
Quant à Clarín, à la fin du siècle, il revendique, avant Unamuno, l’européité de l’Espagne: «l'Espagne n'a pas besoin qu'on l' européise - en voilà une expression!- parce qu'elle est déjà européisée», écrit-il dans Madrid Cómico le 31-III-1900, en insistant le16-IV-1900 : «L'Espagne est un peuple aussi européen que tout autre, malgré son impéritie, son ignorance et son retard»: «Penser, sentir, aimer ... tous ou beaucoup d'entre nous savent le faire à l'européenne, et, si l'on peut dire, encore mieux, à l'universelle» (Alas, 2006, 1 036).
C’est depuis ces positionnements par rapport aux réalités et aux modalités des transferts et l’interaction des représentations de soi et des autres qu’émerge cette conscience complexe d’un retard et d’une dépendance mais aussi de la nécessité d’affirmer la dignité du pays que se forgent des projets que l’on voit tout particulièrement à l’œuvre dans la presse, avec des intentions clairement exprimées.
Intentions. Dans ce domaine, on ne peut évidemment oublier que la prétention à ignorer les autres et à vivre coupé d’eux, dans l’autarcie, a pu exister –on l’a vu avec El Laberinto qui lui donne une dimension patriotique -et même être effective dans certaines parties de l’Espagne, mais aussi qu’aucun cordon sanitaire dans l’histoire n’a pu empêché les transferts et échanges culturels et la circulation des idées.
C’est ainsi que Clarín peut se gausser de l’attitude de «la plupart de nos écrivains qui croient que l'Espagne se suffit à elle-même, en s'inspirant de son ciel bleu, de sa guerre de huit siècles, de sa grandeur passée, avec ses possessions où le soleil ne se couchait jamais, etc.; touts croient, ou du moins beaucoup d'entre eux, que l'originalité exige une ignorance troglodyte» [28] .
A l’opposé, ont existé des projets d’ouverture et modernisation de l’Espagne très tôt portés par la presse, comme l’emblématique, par son titre et son contenu, El Europeo , la première revue romantique espagnole, bientôt suivie par El Laberinto (1843-5) qui aspire à moderniser l’Espagne, à la civiliser, la mettre au niveau des autres nations mais sans imitation ni «copie traductrice" (Fernández Sánchez, 1997, 296).
Plus tard, un journaliste comme Clarín, en bon krausiste réformateur, pense que tout ce qui vient de l'extérieur contribue à ce qu'il appelle "la prospérité intellectuelle" de l'Espagne et théorise, en le pratiquant, l'échange intellectuel avec l'étranger pour saper "la muraille de Chine que notre ignorance, notre paresse, notre vanité et nos préjugés ont élevée aux frontières de notre esprit national". Des années avant qu'Unamuno ne le recommande, pour "espagnoliser l'Europe", Clarín "fait la digestion de cette partie de l'esprit européen susceptible d'être transformé en esprit propre à l'Espagne", en affirmant avec insistance, en 1892: "Aujourd'hui où nous pouvons tirer si peu de nous mêmes pour alimenter la culture, il est plus nécessaire que jamais d'assimiler ce qui vient de l'étranger, de le comprendre, de le sentir, de l'étudier, etc.", car "nous avons moins besoin de ce qu'en dehors de l'Espagne on nous écoute et considère, que de considérer et lire les autres, te plus particulièrement certains peuples plus avancés" (cf. Botrel, 2001).
Cette situation asymétrique, où la quasi ignorance de l’importateur espagnol par l’exportateur de fait –l’exportateur français essentiellement- semble la règle, se trouve, du point de vue espagnol, de plus en plus compensée par la volonté de retrouver, notamment à travers la presse espagnole mais aussi intercontinentale, une certaine influence dans les anciennes colonies et néo-républiques de l’Amérique latine, en luttant contre le «gallicisme intégral» qu’on peut observer, mais aussi de créer d’éventuels nouveaux équilibres avec la promotion d’un ibérisme littéraire qui implique l’Espagne, le Portugal mais aussi la Catalogne , sur le mode d’échanges plus équilibrés. Telle ou telle revue –parfois bi ou trilingue- sera créée à cet effet, comme la Revista crítica de historia y literatura españolas, portuguesas e hispanoamericanas dirigée par Rafael Altamira.
Cela étant rappelé, le transfert dans le sens prédominant qui est celui de l’importation peut être plus ou moins passivement accepté ou a contraire activement recherché après analyse et expertise, selon des procédures réfléchies.
De la première attitude rend compte cette réflexion critique de Clarín: «En Espagne, en général, on a peu le goût de l’étude et l’on étudie encore moins la vie intellectuelle des pays qui par rapport à nous ont pris de l’avance dans ce domaine… Quand nous imitons les Français et le fait d’imiter est dommageable en soi, puisque c’est une indigestion de la tête, nous imitons ce qu’ils ont de pire» (Alas, 2004, 109).
De la seconde est représentative la démarche consciente et construite de El Siglo Pintoresco qui, en 1845, se lance «après avoir observé comment fonctionnent des publications du même genre en Allemagne, en Angleterre et en France ; sans être la rivale d'aucune d'elles, mais en étant l'émule de toutes » (Barrera, 2000, 101), après une analyse des modèles journalistiques disponibles, par conséquent.
C’est ce qui permet à Clarín d’affirmer, par exemple, le 16-II-1895, que «la grand presse, celle qui a une fonction de guide, doit faire comme en France, en Angleterre, etc., etc. où, en plus des publications spécialisées, la littérature peut compter sur tout l'espace nécessaire dans les grands journaux» [29] ou que «le journaliste de première classe n'est pas celui qui tient plus de Mercure que de Minerve, celui qui montre avec orgueil les ailes de ses pieds. Même si celles-ci ne sont pas superflues, mieux vaut celles de l'esprit». Pour la presse espagnole, à l’instar de celle d’Angleterre, de France ou d’Allemagne où le journal est également un organe d'idées, parce que l'idée a une vie harmonique qui requiert l'expression quotidienne" [30] , il faut revendiquer «Les idées d’abord». De là l’ordonnance du médecin et journaliste, le 24-III-1895 : "Je pense qu'il est hygiéniquement opportun de donner au peuple ibère, aussi noble que paresseux, la plus grande quantité possible de lettres, de bonnes lettres, à travers ces préparations journalistiques, les seules que tolèrent l'estomac faible du patient".
On le voit, c’est la presse elle-même et sa fonction –sa configuration- qui se trouve ici en cause, mobilisée et sollicitée par l’importateur qui doit, pour mettre en œuvre son projet, pouvoir compter sur le véhicule adéquat pour servir ses intentions. Avec quels effets?
Les effets. S’il est relativement aisé –on l’a vu- de faire un relevé des effets sur la littérature ou la langue dénoncés à propos du feuilleton d’origine française, par exemple [31] , ou d’attribuer une dimension identitaire aux réactions que le phénomène provoque, il est plus difficile de mesurer, dans la longue durée, l’impact effectif sur la langue qu’a pu avoir la consommation à travers la presse de produits traduits du français pour l’essentiel et encore plus les résultats de ces transferts permanents en termes d’idées.
S’agissant des conséquences des transferts culturels en matière linguistique, retenons, pour l’instant, la nécessité pour la recherche de prêter une plus grande attention au problème des langues et de la langue journalistique.
En effet, comme le rappelle justement Clarín, le 11-VIII-1899, la différence de langue "sépare plus qu’une cordillère» et, par ailleurs, la traduction n’est qu’un pis aller dont il dénonce d’ailleurs à son tour les conséquences [32] .
S’agissant de la littérature, la langue, dit Clarín le 23-VII-1900, est "l'élément essentiel, à la source de différences et même de séparations qu'impose la nature même des choses". De là la revendication utopique de relations littéraires internationales où les littératures nationales seraient données à lire dans leur(s) langues dans les autres nations. Clarín n’y croit sans doute pas trop, lui qui lit le français et à un moindre degré l’allemand et l’anglais, mais prétexte en tant que castillanophone de son incompréhension du catalan pour de pas parler de la littérature catalane.
Dès lors, comment faire l’économie de la traduction?, et l’on sait que la presse espagnole en a usé et abusé avec des effets sur la langue espagnole qu’o n’est guère en mesure, en l’état des recherches sur l’histoire de la langue contemporaine, de mesurer (cf. Rodríguez Marín, 2005). On peut dire la même chose du phénomène de libération de la langue et l’émergence d’un style proprement journalistique par la pratique de la presse étrangère ou nationale.
S’agissant des «transferts d’idées» qui peuvent être opérés à travers la presse, ils ne pas supposés avoir tous eu les mêmes effets: cela dépend évidemment des modalités d’importation et de réception.
Une fois encore avec Clarín, qui porte -on le voit- une attention globale au phénomène, il convient de distinguer entre ce qui n’a pu être que consommation superficielle d’imitations de même acabit [33] , et qui n’a sans doute eu d’autre effet que la satisfaction immédiate, passagère et illusoire d’un lectorat avide de quelconques «articles de Paris» [34] , de la démarche de sélection par l’étude et l’analyse suivis d’échos intelligents et adaptés qui permet l’appropriation et même l’assimilation par le lecteur [35] .
Une condition pour cela est, à nouveau, l’existence d’informateurs et de médiateurs préparés à cet effet [36] .
C’est le cas des correspondants dont le rôle peut-être aussi bien néfaste que positif selon le niveau de préparation et la conception de la fonction mais encore plus des journalistes penseurs et passeurs.
En effet, il ne suffit pas de pouvoir compter sur ce qui a été pensé ailleurs, il faut que dans ce qui est universel (à distinguer de ce qui est parisien ), chacun, s’il y trouve quelque chose de solide, l’original, le sente, le pense et l’exprime de telle sorte que se révèlent les influences naturelles saines… (cf. Alas, 2006, 1 036).
On en vient à l’intéressante différenciation faite par Clarín, le 16-X-1893, entre les relations littéraires internationales et le cosmopolitisme littéraire.
Dans le premier cas, il s’agit selon lui de «faire connaître dans chaque nation ce que l’autre produit, également en tant que nation, sans rien lui enlever de son sceau particulier», de la façon la plus fidèle possible, sachant que l’accès à la langue des autres n’est pas forcément généralisé et que pour passer d’un côté à l’autre des Pyrénées, il faut sans doute emprunter le tunnel de la traduction, avec le risque constant que le train qui entre d’un côté ne soit pas le même en ressortant.
Le cosmopolitisme littéraire, quant à lui, a pour effet d’effacer tous les caractères nationaux à force de les assimiler et de les accumuler», ceux qui le pratiquent prenant des étrangers des idées, des formes, mais sans respecter la nationalité dans le langage, ni dans la relation au milieu». C’est ainsi que Ibsen ou Tolstoï ont donné lieu en France à une assimilation «pour la vie de l’art universel, de la sève esthétique et philosophique des deux écrivains universels».
Tout en pratiquant assidûment le cosmopolitisme, en tant qu’espagnol et patriote, Clarín aurait préféré des relations littéraires internationales plus équilibrées (cf. Alas, 2005a, 578-9). Reste que dans l’un et l’autre cas, c’est évidemment, essentiellement à travers la presse, de El Europeo jusqu’à La España Moderna en passant par les innombrables journaux qui publièrent ses articles de Clarín que peuvent être observés les stratégies et leurs effets dans un temps appréhensible. Les conditions de propagation dans le monde hispanique du naturalisme, par exemple, est à cet égard particulièrement illustratif, en particulier pour ce qu’elles révèlent sur le rôle de la presse mais aussi sur ses limites (Botrel, sous presse, b a).
Conclusion : Au delà de l’inventaire qui révèle pour l’Espagne une asymétrie structurelle dans les échanges culturels avec la France et l’Europe du Nord, où se trouve l’essentiel du matériau référentiel, mais aussi avec l’Amérique hispanique, les échanges avec les autres parties de la Péninsule ibérique restant à construire pour l’essentiel, il faut évidemment considérer, avec J.-R. Aymes et J. Fernández Sebastián (1997, 336-338), que tous ces transferts, opérés principalement à travers la presse, vont au delà de simples relations bipolaires, qu’ils se font dans un cadre de révérence ou dépendance mais aussi d’ignorance ou de concurrence et surtout qu’ils impliquent de nombreuses pratiques de filtrage ou métissage précédant une éventuelle assimilation et donnent lieu à des jeux spéculaires dialectiques faits de répliques, échos ou ricochets dont l’histoire de la presse et l’histoire culturelle doivent tenir particulièrement compte .
Grâce à sa «réactivité» dialectique et son essentiel dialogisme, la prise en compte effective et ambitieuse de la presse pour elle-même (cf. Aubert, Botrel, Desvois, 1981), aide à dépasser la vieille problématique des influences ou de la dépendance au bénéfice de processus de circulation, de médiation et d’interaction, de rejets ou d’appropriation et parfois d’assimilation.
S’agissant de l’Espagne considérée dans l’ensemble européen mais aussi dans ses relations avec l’Amérique hispanique, la presse permet de constater, au jour le jour, que c’est une isochronie (relative, car au sein d’un même pays les temps ne sont jamais exactement les mêmes) dans la plupart des domaines qui régit ses rapports avec les principaux pays, mais aussi que chez les uns et les autres la connaissance et/ou la conscience du fait est inégale, en raison du biais idéologique qui le sous-tend, il existe toujours la consolation de savoir que quelqu’un est plus en retard que soi. En variant ou en déplaçant les positions d’où on observe les autres et en rétablissant le mouvement d’échanges qui caractérise la vie de la presse au quotidien, l’approche comparative de la presse (dont le rôle stratégique ne peut être considérée qu’écologiquement, c'est-à-dire en lien avec les autres formes d'expression culturelle, artistique et scientifique) permet certainement de sortir d’un carcan strictement national une histoire culturelle plus cosmopolite qu’on ne la suppose.
Jean-François Botrel (Université Rennes 2/PILAR).
Etudes citées:
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b----, Obras completas. IX. Artículos (1895-1897). Edición de Yvan Lissorgues y Jean-François Botrel, Oviedo, Nobel, 2005.
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[1] Il est évidemment impossible d’entrer à soi seul dans la masse de papier et d'information que représente la presse -rien qu'entre 1871 et 1885, on compte, à Madrid, 600 titres de presse non quotidienne et non scientifique (Cazottes, 1982)-, a fortiori dans une perspective comparatiste. Cette contribution de médiation à partir de la recherche espagnole ou en espagnol (voir dans ce volume l’étude de Marta Giné sur "L’état des recherches sur la presse espagnole du XIXesiècle») a donc pour seule ambition d'introduire à des recherches plus ambitieuses et exhaustives.
[2] En 1835, par exemple, El Español importe ses machines d’Angleterre(Seoane, 1983, 149) et en 1838 on trouve dans El Semanario Pintoresco une description de la presse Giroudot qui sert à son impression. Sur les gravures, voir Le Gentil (1909, 51).
[3] C’est ainsi que Mesonero Romanos, futur directeur de El Semanario Pintoresco , est, fin 1833, mis en contact en France avec la «ferveur littéraire pittoresque» (Seoane, 1983, 149) ou que les artistes espagnols du Semanario pintoresco se forment à la gravure typographique (Le Gentil, 1909, 51).
[4] En 1869, El Imparcial fait, par exemple, état des "dépêches télégraphiques" fournies par les agences Fabra (créée en 1865) et Havas qui en 1870 convertira l'agence espagnole en succursale.
[5] A une époque où être journaliste est encore loin d’être une véritable profession, les correspondants sont souvent des espagnols exilés ou émigrés.
[6] Comme Leopoldo Alas "Clarín" ou bien Bailly-Baillière, éditeur de Lectura para todos (Palenque, 1992)ou Lázaro Galdiano (Botrel, 2005).
[7] A côté de quelques journaux publiés en français sur le territoire espagnol (Seoane, 1983, 101), la presse libérale de l'exil, après avoir été principalement londonienne, est à partir de 1830 publiée en espagnol à Paris (Fuentes, Fernández Sebastián, 1997, 59). On connaît antérieurement quelques tentatives, comme celles d'Alberto Lista, de journal afrancesado en 1810 ou de journal espagnol publié en France, en1828, «secrètement ministériel et ostensiblement impartial» (Barrera, 2000, 68 et sq.). On ne saurait oublier les publications périodiques éditées en France ou en Espagne à l'intention de l'Amérique hispanique, souvent par les hispanoaméricains eux-mêmes (cf. Seoane, 1983, 110 et sq.).
[8] Cette presse importée étant confondue dans les statistiques globales concernant l'imprimé (cf. Botrel, 1989), il est difficile d'en apprécier le poids, mais la réception régulière de la presse étrangère, française essentiellement, est abondamment attestée dans les différents cercles de sociabilité en Espagne (cf. par exemple, Botrel, 1997, 228-9 et 2004).
[9] Museo de las familias/Musée des familles, Revista de Ambos Mundos / Revue des Deux Mondes , Diario de los Debates / Journal des Débats , La Minerva nacional/La Minerve française , El Censor/Le Censeur européen , etc. El Artista (1835-1836), analysé par J. Simón Díaz (1946), doit son titre, son format, son orientation et même son type de lettres à L’Artiste d’Achille Ricourt (1831-1838), qui n'est jamais cité malgré le plagiat d’article et de gravures (Seoane, 1983,147), le No me olvides est un écho évident au Forget me not , etc. Selon Le Gentil (1909, 91, 103, 110) la Revista de Madrid rappelle dans une certaine mesure la Revue de Paris , El Entreacto/L’Entracte , le Repertorio dramático est calqué sur le Magasin théâtral et la France dramatique , la Revista de teatros rappelle Le Monde dramatique , etc.
[10] Dès 1828, on trouve dans un projet de Lista Le Journal des Débats comme modèle explicite, quand il imagine son journal imprimé sur «un pliego de papel grande como el del citado Diario de los Debates » (Barrera, 2000, 72), «inmenso papel extranjero», selon Larra en 1833.
[11] Un inventaire sommaire des expressions utilisées par Le Gentil (1909, passim ) pour rendre compte du phénomèneest éclairant : par rapport à la presse française et accessoirement anglaise ou allemande, la presse espagnole «se réclame de» , «passe en revue», «estséduite par», «se fait l’écho de», «emprunte à ses modèles», «copie», «se fournit aux dépens de», «reproduit», les articles sont «pillés dans la presse parisienne», «inspirés de» et les graveurs «se forment à l’école de»...
[12] A propos de El Español en1835, Fuentes et Fernández Sebastián (1997, 69) remarquent que «su impecable fisonomía a cinco columnas imitaba en muchos aspectos al londinense The Times ». Sur Las Novedades (1850-1873), journal de «grand format», voir Seoane (1983, 137).
[13] L'ancêtre des Illustrations espagnoles, le Semanario pintoresco , est, en 1836, on le sait, «fundado a semejanza del Penny Magazine (…) y del Magasin Pittoresque , publicado a su imitación en Francia» (Le Gentil, 1909, 50). Sur les Illustrations espagnoles et leurs modèles, voir Trenc (1996) et Alonso (2003).
[14] Un résumé de Ferragus est déjà publié dans le No me olvides et selon La Epoca en 1888, en 1845 on attendait l’arrivée du courrier de Paris pour traduire le nouveau chapitre du feuilleton du Juif errant (Seoane, 1983, 178). Le fait est que, entre 1853 et 1856, les deux tiers des feuilletons sont traduits du français (Lécuyer, 1993, 164), et qu'on peut observer une hégémonie du feuilleton étranger dans Las Novedades (1850-1862) (Baulo, 1993, 94). En revanche El periódico para todos (1872-1883) dont la présentation et les orientations sont identiques à celles du Journal pour tous (1855-1878) «a presque systématiquement exclu tout ce qui venait de l’étranger» (Cazottes, 1981, VIII). S'agissant des contes, on dénombre par exemple 79 contes de Maupassant dans El Pueblo , El Mercantil valenciano et El Radical entre 1898 et 1921 (Sanz Marco, 1990, 233-237).
[15] El Panorama peut ainsi publier un compte-rendu de la représentation de Ruy Blas rédigé à partir de journaux français mais... avec des commentaires personnels (Fernández Suárez, 1997, 285).
[16] La reproduction d'informations ou d'extraits de la presse, sous des formes plus ou moins littérales ou élaborées, est, en effet, au centre de l'activité rédactionnelle, et cette pratique ne concerne évidemment pas que la presse étrangère.
[17] Selon Seoane (1983, 91), El Periódico de las damas publiait «semanalmente un figurín a pluma, coloreado, con la leyenda en francés, ya que era enviado por un corresponsal desde París para la sección de modas". La même chose peut être observée à propos de La Guirnalda (Martin, 1971) et des estampes: c'est ainsi que les caricatures de Napoléon «en un principio fueron fuente de inspiración para los españoles algunas imágenes críticas que se habían publicado hacía años en Inglaterra adaptadas a la nueva situación» (Vega, 2004,100), l'importation ou l'imitation étant également de mise par la suite (Vega, 2004, 109, 111).
[18] Dans le projet de la Gazeta de Sevilla figure par exemple la publication de «extractos de los papeles extranjeros y reflexiones sobre los acontecimientos más importantes de Europa» (Barrera, 2000, 67) celle de «nouvelles étrangères et de France» , dans le projet de Lista, en 1828 (Barrera, 2000, 70). Parmi les moyens de rédaction du journal espagnol projetté en France par A. Listafigurent : 1° Tous les journaux du royaume 2° Les journaux politiques français, les plus importants de chaque parti; et pour la partie littéraire, il est précisé que "le Journal des Débats suffira» (Barrera, 2000, 71).
[19] Parmi les nombreux emprunts aux revues étrangères faits par la presse espagnole et signalés par Le Gentil (1909, 124-125) on remarquera, par exemple, celui de «longs extraits de la Quaterly review qui rend compte d’une œuvre danoise».
[20] La Abeja est, selon les termes du regretté John W. Kronik (2000, 236-7), une «crusading review, wich specialized in the publication of translations of German writings, emerged precisely at the peak moment of the German intellectual and scientific invasion of Spain trough Catalonia». Ce mensuel qui publiera 70 numéros se présenta au début comme «Revista Científica e Ilustrada/principalmente/Extractada de los Buenos Escritores Alemanes».
[21] Comme La América . Crónica hispanoamericana (1857-1886) (Cazottes, 1982, 72-73), el Eco de ambos mundos ou la revue dirigée par R. Altamira.
[22] On y trouve, par exemple, publiées El mundo americano (1875-77), l'hebdomadaire El mundo ilustrado , édition en espagnol du Monde illustré , qui, à partir de juillet1861 constitue la partie littéraire de El eco hispanoamericano . Revista Quincenal enciclopédica (1854-1872), El Eco del mundo católico .Periódico universal religioso, político científico y literario (1855-1858), El Eco de Paris (journal médical), El Americano (París, 1872-1874) (García-Castañeda, 2001) et, plus tard, Mundial magazine (Arte, ciencias, historia, teatro, actualidades modas) (1911-14) (cf. Molloy, 1971). Il a également existé une presse hispanique nord-américaine, comme Las Novedades de Nueva York où collabore Clarín.
[23] C'est le cas de la Revista peninsular (1855-56) publiée à Lisbonne en espagnol et en portugais, de la Revista ibérica de política, literatura y ciencias y artes ou de La Ilustración ibérica. En 1882, le projet de Liga literaria entre les écrivains espagnoles te portugais vise à ce que ceux-ci "se entiendan, protejan mutuamente sus obras, procurándoles lectores y mercado en los respectivos países», notamment à travers la presse, plutôt que de publier un journal bilingue où écriraient espagnols et portugais.
[24] Raza latina (1874-1884) avait pour projet d' unir "los intereses de los pueblos latinos contra la invasión germana» avec des articles en espagnol ou en français (Cazottes, 1982, 73-74) et El Mundo latino . Órgano de los intereses de la raza latina de ambos mundos, se pésente comme une publication intercontinentale avec des éditions à Paris, New-York et Madrid et paraît à partir du 1-I-1901.
[25] Sur ce point, voir, par exemple, Lissorgues (1998) et Cattini (2006).
[26] C'est ainsi que Clarín parle de «)sueltistas y cronistas tan buenos como los franceses» ( Madrid Cómico , 323, 27-IV-1889 et que Eugenio Sellés, dans son discours d'entrée à la Real Academia Española, assure que «no ha llegado la prensa de España a las alturas en que la vemos fuera; tampoco ha descendido a las bajezas con que nos escandalizan los extraños» (apud Barrera, 2000, 146).
[27] C'est ainsi que El Liberal publie tantôt des "Cuentos propios" (de chez nous), tantôt des "Cuentos extranjeros".
[28] Et il poursuit : "Aparece una escuela filosófica o literaria, o lo que sea, y no se sabe de ella más que lo que dicen sus enemigos superficial e interesadamente; la pereza tiene en el afán de sepultar lo nuevo, para no tener que estudiarlo. Así es que aquí, si no se sabe nada o casi nada de Portugal, es, ante todo, porque se sabe poco de cualquier parte. Pero es indudable que de de ningún país ignoramos tanto como de la tierra de Luso» (Alas, 2004, 109).
[29] Il donne un exemple, très récent,de ce qui se fait ailleurs: la nouvelle de l’élection d’un nouveau président et d’une grave crise ministérielle n’ont pas empêché les journaux français de consacrer des colonnes et des colonnes au triomphe de Coppée au Théâtre de l’Odéon, dans plusieurs numéros. De la presse étrangère, il retient également –et ce n’est pas une simple façon de défendre les intérêts des «vrais journalistes» que les articles sont habituellement signés et il remarque, le 8-V-1895, que «por lo mismo que fuera de aquí el periódico serio, importante, es órgano de la más alta cultura, no sólo de populares intereses, de curiosidad vulgar y efímera todavía se ven grandes firmas al pie de artículos de la prensa diaria». A propos de El Mundo Latino dont il approuve le projet pan-latin, il reviendra sur cette évidence: un journal doit pouvoir être lu pour ses mérites propres et non pour l’amour que le lecteur aurait pour l’union des peuples latins et pour ce faire il faut non des articles gratuits et obligatoires de visionnaires mais l’intervention de professionnels, une rédaction avec de vrais journalistes, avec de bons correspondants» (Alas, 2006, 858), car, crûment dit, «un imbécile, pour aussi latin ou ibérique qu’il soit, est un imbécile ».
[30] A côté du "mare magnum de la nouvelle palpitante des intérêts les plus positifs, pédestres et matériels", Clarín remarque que les grands journaux étrangers «publican artículos y noticias de lo más espiritual y desinteresado: música, teología, pintura, filosofía, historia, arqueología; todo, todo eso que los holgazanes de por acá quieren relegar al libro y a la academia» (Alas, 2005b, 105).
[31] On se contentera donc d’enregistrer les lamentations des journaux et de certains journalistes conscients (cf. Botrel, 2006), à propos des «mauvaises traductions de mauvais originaux, qui ne servent qu’à corrompre la langue, le goût et quelque chose qui vaut encore plus» , comme l'écrit El Laberinto , 1844(Fernández Sánchez, 1997, 292), de ce «formidable aluvión de novelas bárbaramente traducidas». Les traducteurs, selon Ochoa, «desvirtúan la genuina índole de nuestro idioma nacional», «corrompen la lengua, depravan el gusto». Pour tout dire –c’est en tout cas l’avis de Mesonero Romanos, partagé par Alcalá Galiano-, il semble que «algunas traducciones de Barcelona y no pocas de Madrid que han quedado más gabachas que antes de pasar los Pirineos» ( Montesinos, 1966, 96). A la fin du siècle, le même discours sera tenu par Clarín qui voit dans le feuilleton traduit -véritable «contrebandier de locutions et mots étrangers» selon Sellés- le «microbede la langue», et constate l’avénement d’une nouvelle langue à côté du volapuk: le folletinpuk (le feuilletonpuk ) «para que no lo entienda nadie» (Alas, 2006, 460). Un aspect plus positif néanmoins, symptomatique d’une appropriation des auteurs étrangers et remarqué par Clarín, est l’hispanisation des noms d’auteurs qui amènent la plupart des espagnols dicen Zola como suena en castellano, con z española, no francesa, y sin hacer la voz aguda», le même phénomène pouvant être constaté pour Hugo ou Dumas.
[32] Peu de traductions sont faites par de vrais écrivains et elles sont presque toujours détestables; c’est ainsi, par exemple, que «lo poco que la mayoría lee aquí de los Milton, Shakespeare, Byron, Dickens, y de otros pocos y de Goethe y Schiller, se debe exclusivamente a empecatadas traducciones pasadas por el aguachirle del francés de pacotilla» (18-VIII- 1892). D’où la nécessité d’accorder une importance accrue à l’image dans la presse, son langage plus ou moins universel n’ayant guère besoin d’être traduit.
[33] «copiar malamente lo más superficial de los franceses no es vivir de la savia del pensamiento europeo moderno. Lo mejor y lo más íntimo del genio francés actual es para la mayoría cosa tan desconocida casi como la presente literatura alemana, verbigracia, de que no se habla siquiera entre nosotros», écrit Clarín le 2-I-1892 (Alas, 2005a, 255).
[34] Au centre de cette approche néfaste, se trouvent, dans la presse, les correspondants. Dans son article " Corresponsales de París (Psiquiatría literaria)" du 11-XI-1900, Clarín constate que tout ce qui vient du «grand centre parisien» intéresse le public («allí repercute y toma forma atractiva y clara cuanto el espíritu humano produce»); pas étonnant, par conséquent, qu’il existe dans les journaux les plus lus une rubrique «correspondance littéraire de la capitale française»; le problème est qu’elle soit confiée à des «publicistas notoriamente ineptos para el caso»... Suit une charge contre ces chroniqueurs frivoles, sans patrie, prétentieux, etc.,lesquels «prescinden de de los grandes intereses del día para agarrarse a un incidente baladí»; «Estos corresponsales no suelen ser españoles, claramente españoles a lo menos» ; ils souffrent d’une aberration de perspective, souvent emprunté à un journal de Paris alors qu’il existe une multitude de «jóvenes ilustrados, serios, con estilo, con gracia, con ideas propias y respeto a las ajenas que con mil amores desempeñarían esas funciones de corresponsal de París, escribiendo, no de sí mismo, ni de frivolidades escabrosas, ni de nonadas; ni plagiando el esprit francés; sino de cosas de interés general, de valor cierto, de substancia; sin pedantería, pero con ciencia suficiente; pintando el París digno, grande, noble, que todos los días dice o hace algo que merece ser conocido». Contre la propension de la presse espagnole à ce que Clarín appelle l' efimerismo , cf.Lissorgues (2006).
[35] C'est ce que Clarín observe au Portugal : «Portugal tiene un gran espíritu de asimilación; el elemento ilustrado de su pueblo ha comprendido la gran ventaja que sacan las naciones que se han quedado zagueras en la cultura, siendo humildes y modestas y aprovechando lo que los otros países más dichosos les enseñan en el camino de los adelantos ;el saber, la idea, el arte, son bienvenidos aunque vengan de lejos; en Portugal tiene un eco inteligente todas las voces de la moderna vida intelectual … » (Alas, 2004, 108).
[36] Clarín fait partie de ceux qui en Espagne «tienen que vivir enterados de la vida ordinaria de París en las esferas científica, filosófica, económica, artística, jurídica, etc.", ce qui l'amène par exemple à se faire l'écho, le 30-XI-1895, de la réfutation par l’histologue italien Camilo Golgi des théories de Ramón y Cajal qui se trouvent appuyées et confirmées par le savant allemand Gehuchten ou que, le 31-VII-1895, il glose un article de L. Olivier dans la Revue Générale des Sciences sur le lien entre les avancées de la chimie en Allemagne et les exportations de produits industriels. Il peut se réjouir, le 11-VII-1895, de l'apparition en Espagne d'une «especie de colonia europea del intelectualismo español" qui se distingue heureusement de "la masa, muy nacional y no menos digna de lástima de los entrometidos charlatanes, que sin más ciencia que el caló de los toros y sin más arte que una gran desfachatez, invaden las columnas de los periódicos populares y contribuyen con deplorable y rápida eficacia a la decadencia de nuestra cultura».